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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

un fragment sous les yeux de nos lecteurs, achèvera de peindre la situation.

« … Remontons à Alexandrie. Cette ville n’a plus de son antiquité que le nom. Figurez-vous des ruines habitées par un peuple impassible, prenant tous les événements comme ils viennent, que rien n’étonne, qui, la pipe à la bouche, n’a d’autre occupation que de demeurer sur son cul devant sa porte, sur un banc, et qui passe ainsi sa journée, se souciant fort peu de sa famille et de ses enfants ; des mères qui errent, la figure couverte d’un haillon noir, et offrent aux passants de leur vendre leurs enfants ; des hommes à moitié nus, dont le corps ressemble à du bronze, la peau dégoûtante, fouillant dans des ruisseaux bourbeux, et qui, semblables à des cochons, rongent et dévorent tout ce qu’ils y trouvent ; des maisons hautes de vingt pieds au plus, dont le toit est une plate-forme, l’intérieur une écurie, l’extérieur l’aspect de quatre murailles !
xxxx » Ajoutez qu’autour de cet amas de misère et d’horreur, sont les fondements de la cité la plus célèbre de l’antiquité, les monuments les plus précieux de l’art.
xxxx » Sorti de cette ville pour remonter le Nil, vous trouvez un désert nu comme la main, où, de cinq lieues en cinq lieues, vous rencontrez un mauvais puits d’eau saumâtre. Figurez-vous une armée obligée de passer au travers de ces plaines arides, qui n’offrent pas même au soldat un asile contre les chaleurs insupportables qui y règnent. Le soldat, portant pour cinq jours de vivres, chargé de son sac, habillé de laine, au bout d’une heure de marche, accablé par le chaud et la pesanteur des effets qu’il porte, se décharge et jette les vivres, ne songeant qu’au présent sans penser au lendemain. Arrive la soif, et il ne trouve pas d’eau. C’est ainsi qu’à travers les horreurs que présente ce tableau, on a vu des soldats mourir de soif, d’inanition, de chaleur ; d’autres, voyant les souffrances de leurs camarades, se brûler la cervelle ; d’autres se jeter avec armes et bagages dans le Nil, et périr au milieu des eaux.
xxxx » Chaque jour nos marches nous offraient un pareil spectacle, et, chose inouïe et que personne ne croira ! c’est que