En sortant de chez Bonaparte, mon père rencontra Kléber qui allait y entrer.
— Tu ne sais pas ce que nous allons faire là-bas ? dit-il.
— Nous allons faire une colonie.
— Non. Nous allons refaire une royauté.
— Oh ! oh ! dit Kléber, il faudra voir.
— Eh bien, tu verras.
Et, là-dessus, les deux amis se quittèrent.
Le 19 mai, on mit à la voile.
XI
Bonaparte montait l’Orient, magnifique bâtiment de cent vingt canons.
En sortant du port, l’Orient, qui, par son énorme chargement, tirait trop d’eau, toucha le fond ; ce qui occasionna un instant de trouble dans la flotte.
Le contre-maître du Guillaume-Tell, bâtiment sur lequel était monté mon père, secoua tristement la tête : ce contre-maître se nommait Boyer.
— Qu’y a-t-il donc, Boyer ? demanda mon père.
— Il y a, général, qu’il arrivera malheur à la flotte.
— Et pourquoi cela ?
— Parce que le bâtiment amiral a touché ; voyez-vous, cela, c’est immanquable !
Mon père haussa les épaules.
Deux mois après, la flotte était détruite à Aboukir.
On connaît tous les détails de la traversée : on prit Malte en passant, Malte l’imprenable !