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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Joséphine pleurait ; Bonaparte, d’une main, lui essuyait les yeux, et, de l’autre, battait en riant une marche militaire sur la partie du corps de Joséphine qui était tournée vers la ruelle.

— Ah ! pardieu ! Dumas, dit-il en apercevant mon père, vous arrivez bien ; vous allez m’aider à faire entendre raison à cette folle. Ne veut-elle pas venir en Égypte avec nous ? Est-ce que vous emmenez votre femme, vous ?

— Ma foi, non, dit mon père ; et je crois qu’elle m’embarrasserait fort.

— Eh bien, tu vois ; tu ne diras pas que Dumas est un mauvais mari, qu’il n’aime pas sa femme et sa fille ! Écoute : ou je serai de retour dans six mois, ou nous serons là-bas pour quelques années.

Les pleurs de Joséphine redoublèrent.

— Si nous sommes là pour quelques années, la flotte deviendra nécessairement prendre une vingtaine de mille hommes sur les côtes d’Italie. Retourne à Paris, préviens madame Dumas, et, de ce convoi-là, par exemple, vous en serez. Cela vous va-t-il, Dumas ?

— Parfaitement, répondit mon père.

— Une fois là-bas, ma bonne Joséphine, Dumas, qui ne fait que des filles, et moi qui n’en fais même pas, nous ferons tout ce que nous pourrons pour faire chacun un garçon ; si nous faisons un garçon, il en sera le parrain avec sa femme ; s’il fait un garçon, j’en serai le parrain avec toi. Allons, c’est dit, ne pleure plus et laisse-nous causer d’affaires.

Puis, se tournant vers Dermoncourt.

— Monsieur Dermoncourt, lui dit Bonaparte, vous venez d’entendre prononcer un mot qui vous indique le but de notre expédition. Ce but personne ne le connaît ; que le mot Égypte ne sorte donc pas de votre bouche ; vous comprenez, en pareille circonstance, l’importance d’un secret.

Dermoncourt fit signe qu’il serait muet comme un disciple de Pythagore.

Joséphine se consola, et même, s’il faut en croire Bourienne, se consola trop.