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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’aller vous embrasser. Frossart[1], qui est tout épris de vous et du général Joubert, me charge de mille choses de sa part pour tous les deux.
xxxx » J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments les plus distingués,

» Monsieur le général,xxxxxxxxxxxxxxx
» Votre très-obéissant serviteur,xxxxxxxxx
» Hat de Levis, capitaine.
» À Lientz, ce 20 avril 1797. »

Ce fut ainsi que mon père rentra en possession de ces fameux pistolets, tant regrettés par lui.

Qu’on me pardonne tous ces détails ! Hélas ! dans le mouvement rapide qui nous entraîne à travers les révolutions, nos mœurs changent, s’effacent, s’oublient, pour faire place à d’autres mœurs aussi mobiles que celles qu’elles remplacent. La révolution française avait imprimé à nos armées un cachet tout particulier ; je le retrouve et j’en garde l’empreinte, comme on fait d’une médaille précieuse qui va se perdant sous la rouille, et dont on veut faire connaître le prix à ses contemporains, et le caractère à la postérité.

D’ailleurs, nous jugerions mal tous les hommes de la République, si nous les jugions par ceux qui ont survécu, et que nous avons connus sous l’Empire. L’Empire était une époque de vigoureuse pression, et c’était un rude batteur de monnaie que l’empereur Napoléon. Il fallait que toute monnaie fût frappée à son image, et que tout bronze fût fondu à sa fournaise ; lui-même avait, en quelque sorte, donné l’exemple de la transfiguration. Rien ne ressemble moins au premier consul Bonaparte que l’empereur Napoléon, au vainqueur d’Arcole que le vaincu de Waterloo.

Donc, les hommes qu’il faut mouler quand nous voudrons donner une idée des mœurs républicaines sont ces hommes qui ont échappé au niveau de l’Empire par une mort préma-

  1. C’était un officier belge.