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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

La marche s’accomplit sans autres empêchements que ceux qu’opposèrent quelques escadrons de dragons de l’archiduc Jean, qui suivaient le corps d’armée. De temps en temps, Joubert détachait sur ces cavaliers mon père et ses dragons, et alors l’armée avait le spectacle d’une de ces charges qui faisaient frémir Joubert, lequel ne frémissait pas facilement cependant.

Dans une de ces charges, mon père avait fait un officier prisonnier, et, l’ayant reconnu pour un homme de bonne maison, il s’était contenté de sa parole d’honneur, de sorte que l’Autrichien, qui parlait parfaitement français, monté sur un des chevaux de Dermoncourt, caracolait et causait avec l’état-major. Voyant, le lendemain du jour où il avait été pris, son régiment qui suivait notre arrière-garde à cinq cents pas de distance, attendant, sans aucun doute, un moment opportun pour lui tomber dessus, il demanda à mon père la permission d’aller jusqu’auprès de ses anciens camarades afin de leur donner quelque commission pour sa famille. Mon père, qui savait qu’il pouvait se fier à sa parole, lui fit signe qu’il était parfaitement libre ! Aussitôt, l’officier partit au galop, et en un instant, sans que personne des nôtres songeât même à lui demander où il allait, il eut franchi l’espace qui le séparait de ses anciens compagnons.

Après les avoir chargés de ses commissions, il prit congé d’eux et voulut revenir ; mais alors l’officier qui commandait cette avant-garde lui fit observer qu’étant retombé entre les mains des soldats de l’Autriche, il n’était plus prisonnier des Français, et l’invita à rester avec eux et à nous laisser continuer notre route.

Mais l’officier répondit à toutes ces instigations :

— Je suis prisonnier sur parole.

Et, comme ses anciens camarades voulaient le retenir de force, il tira un pistolet de ses fontes et déclara que le premier qui porterait la main sur lui, il lui brûlerait la cervelle.

Et, en même temps, faisant demi-tour, il regagna au galop l’état major français.

Puis, s’approchant de Dermoncourt :