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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» À l’aide de quelques spiritueux, nous le fîmes revenir à lui ; mais ce qui le remit tout à fait, ce fût une pleine soupière de potage qu’on avait fait pour moi, et qu’il avala. Depuis six heures du matin qu’il se battait, il n’avait rien pris, et il était quatre heures de l’après-midi.

« Au reste, tout au contraire des autres, le général, à moins de surprise, se battait toujours à jeun.

» Le général Joubert entra dans ce moment et se jeta au cou du général.

» — En vérité, mon cher Dumas, lui dit-il, tu me fais frémir toutes les fois que je te vois monter à cheval et partir au galop à la tête de tes dragons. Je me dis toujours : « Il est impossible qu’il en revienne en allant de ce train-là ! » Aujourd’hui, tu as encore fait des merveilles, à ce qu’il paraît ! Voyons, ménage-toi ; que diable détiendrais-je si tu te faisais tuer ! Songe que nous avons encore du chemin à faire avant d’arriver à Villach[1].

« Le général était si faible, qu’il ne pouvait encore parler ; il se contenta de prendre Joubert par derrière la tête, de lui approcher le visage de son visage ; et de l’embrasser comme on embrasse un enfant.

» Le lendemain, le général Joubert demanda pour le général Dumas un sabre d’honneur, attendu qu’il avait mis le sien hors de service à force de frapper sur les Autrichiens. »

Mon père ne s’était pas trompé, la leçon donnée aux deux généraux autrichiens était si rude, qu’ils ne revinrent ni l’un ni l’autre à la charge, de sorte que, huit jours après, le général Delmas, sans être inquiété, put rejoindre le gros de la division à Brixen.

Le lendemain de son arrivée, l’armée se mit en marche sur Lensk. On n’avait pas reçu de nouvelles de Bonaparte, on ignorait la position qu’il occupait. N’importe, on opérait au juger, et l’on pensait, en marchant vers la Styrie, se rapprocher de la grande armée.

  1. Rendez-vous et quartier général de Bonaparte.