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— C’est bien, mais où et comment vous reverrai-je ?

— Y tenez-vous beaucoup, à me revoir ?

— Certainement.

— Eh bien ! reposez-vous sur moi de ce soin, et soyez tranquille.

— Je compte sur votre parole.

— Comptez-y.

D’Artagnan salua Mme  Bonacieux en lui lançant le coup d’œil le plus amoureux qu’il lui fut possible de concentrer sur sa charmante petite personne, et tandis qu’il descendait l’escalier, il entendit la porte se fermer derrière lui à double tour. En deux bonds il fut au Louvre ; comme il entrait au guichet de l’Échelle, dix heures sonnaient. Les nombreux évènements que nous venons de raconter s’étaient succédé en une demi-heure.

Tout s’exécuta comme l’avait annoncé Mme  Bonacieux. Au mot d’ordre convenu, Germain s’inclina ; dix minutes après, Laporte était dans la loge, en deux mots, d’Artagnan le mit au fait et lui indiqua où était Mme  Bonacieux. Laporte s’assura par deux fois de l’exactitude de l’adresse et partit en courant. Cependant, à peine eut-il fait dix pas, qu’il revint.

— Jeune homme, dit-il à d’Artagnan, un conseil, me le permettez-vous ?

— Lequel ?

— Vous pourriez être inquiété pour ce qui vient de se passer.

— Vous croyez ?

— Oui. Avez-vous quelque ami dont la pendule retarde ?

— Eh bien ?

— Allez le voir pour qu’il puisse témoigner que vous étiez chez lui à neuf heures et demie. En justice, cela s’appelle un alibi.

D’Artagnan trouva le conseil prudent ; il prit ses jambes à son cou, et arriva chez M. de Tréville ; mais au lieu de passer au salon avec tout le monde, il demanda à entrer dans son cabinet. Comme d’Artagnan était un des habitués de l’hôtel, on ne fit aucune difficulté d’accéder à sa demande, et l’on alla prévenir M. de Tréville que son jeune compatriote, ayant quelque chose d’important à lui dire, sollicitait une audience particulière. Cinq minutes après, M. de Tréville demandait à d’Artagnan ce qu’il pouvait faire pour son service, et ce qui lui valait sa visite à une heure si avancée.

— Pardon, monsieur, dit d’Artagnan, qui avait profité du moment où il était resté seul pour retarder l’horloge de trois quarts d’heure, mais j’ai pensé que, comme il n’était que neuf heures vingt-cinq minutes, il était encore temps de me présenter chez vous.

— Neuf heures vingt-cinq minutes ! s’écria M. de Tréville en regardant sa pendule ; mais c’est impossible !

— Voyez plutôt, monsieur, dit d’Artagnan, voilà qui fait foi.

— C’est juste, dit M. de Tréville, j’aurais cru qu’il était plus tard. Mais, voyons, que me voulez-vous ?

Alors d’Artagnan fit à M. de Tréville une longue histoire sur la reine. Il lui exposa les craintes qu’il avait conçues à l’égard de Sa Majesté ; il lui raconta ce qu’il avait entendu dire des projets du cardinal à l’endroit de Buckingham, et tout cela