Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/538

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme elle se trouvait de quelques pas en avant, elle dit aux valets :

— Mille pistoles à chacun de vous si vous protégez ma fuite ; mais si vous me livrez à vos maîtres, j’ai ici près des vengeurs qui vous feront payer cher ma mort.

Grimaud hésitait. Mousqueton tremblait de tous ses membres.

Athos, qui avait entendu la voix de milady, s’approcha vivement ; lord de Winter en fit autant.

— Renvoyez ces valets, dit-il ; elle leur a parlé, ils ne sont plus sûrs.

On appela Planchet et Bazin, qui prirent la place de Grimaud et de Mousqueton.

Arrivés au bord de l’eau, le bourreau s’approcha de milady et lui lia les pieds et les mains.

Alors elle rompit le silence pour s’écrier :

— Vous êtes des lâches, vous êtes de misérables assassins, vous vous mettez à dix pour égorger une pauvre femme ; prenez garde, si je ne suis point secourue, je serai vengée !…

— Vous n’êtes pas une femme, dit froidement Athos, vous n’appartenez pas à l’espèce humaine : vous êtes un démon échappé de l’enfer et que nous allons y faire rentrer.

— Oh ! messieurs les hommes vertueux, dit milady, faites attention que celui qui touchera un cheveu de ma tête est à son tour un assassin.

— Le bourreau peut tuer, sans être pour cela un assassin, madame, dit l’homme au manteau rouge en frappant sur sa large épée : c’est le dernier juge, voilà tout. Nachrichter, comme disent nos voisins les Allemands.

Et, comme il la liait en disant ces paroles, milady poussa deux ou trois cris sauvages, qui firent un effet sombre et étrange en s’envolant dans la nuit et en se perdant dans les profondeurs du bois.

— Mais si je suis coupable, si j’ai commis les crimes dont vous m’accusez, hurlait milady, conduisez-moi devant un tribunal, vous n’êtes pas des juges, vous, pour me condamner.

— Je vous avais proposé Tyburn, dit lord de Winter, pourquoi n’avez-vous pas voulu ?

— Parce que je ne veux pas mourir ! s’écria milady en se débattant, parce que je suis trop jeune pour mourir !

— La femme que vous avez empoisonnée à Béthune était plus jeune encore que vous, madame, et cependant elle est morte, dit d’Artagnan.

— J’entrerai dans un cloître, je me ferai religieuse, dit milady.

— Vous étiez dans un cloître, dit le bourreau, et vous en êtes sortie pour perdre mon frère.

Milady poussa un cri d’effroi et tomba sur ses genoux.

Le bourreau la souleva sous les bras et voulut l’emporter vers le bateau.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, mon Dieu ! allez-vous donc me noyer !

Ces cris avaient quelque chose de si déchirant, que d’Artagnan, qui d’abord était le plus acharné à la poursuite de milady, se laissa aller sur une souche et pencha sa tête, se bouchant les oreilles avec les paumes de ses mains, et cependant, malgré cela, il l’entendait encore menacer et crier.

D’Artagnan était le plus jeune de tous ces hommes, le cœur lui manqua.