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— Souvent, dit milady, qui, entrée dans cette voie et s’apercevant que le mensonge réussissait, voulait le pousser jusqu’au bout.

— Chez lui, vous avez dû voir quelques-uns de ses mousquetaires.

— Tous ceux qu’il reçoit habituellement, répondit milady, pour laquelle cette conversation commençait à prendre un intérêt réel.

— Nommez-moi quelques-uns de ceux que vous connaissez, et vous verrez qu’ils seront de mes amis.

— Mais, dit milady embarrassée, je connais M. de Louvigny, M. de Courtivron, M. de Férussac.

La novice la laissa dire, puis, voyant qu’elle s’arrêtait :

— Vous ne connaissez pas, dit-elle, un gentilhomme nommé Athos ?

Milady devint aussi pâle que les draps dans lesquels elle était couchée, et, si maîtresse qu’elle fût d’elle-même, ne put s’empêcher de pousser un cri en saisissant la main de son interlocutrice et en la dévorant du regard.

— Quoi ! qu’avez-vous ? Oh ! mon Dieu ! demanda cette pauvre jeune femme, ai-je donc dit quelque chose qui vous ait blessée ?

— Non, mais ce nom m’a frappée, parce que, moi aussi j’ai connu ce gentilhomme, et qu’il me paraît étrange de trouver quelqu’un qui le connaisse beaucoup.

— Oh ! oui, beaucoup, beaucoup ! non seulement lui, mais encore ses amis, MM. Porthos et Aramis.

— En vérité ? eux aussi je les connais, s’écria milady, qui sentit le froid pénétrer jusqu’à son cœur.

— Eh bien ! si vous les connaissez, vous devez savoir qu’ils sont bons et braves compagnons. Que ne vous adressez-vous à eux, si vous avez besoin d’appui ?

— C’est-à-dire, balbutia milady, je ne suis liée réellement avec aucun d’eux ; je les connais pour en avoir beaucoup entendu parler par un de leurs amis, M. d’Artagnan.

— Vous connaissez M. d’Artagnan ! s’écria la novice à son tour, en saisissant la main de milady et en la dévorant des yeux.

Puis remarquant l’étrange expression du regard de milady.

— Pardon, madame, dit-elle, vous le connaissez, à quel titre ?

— Mais, reprit milady embarrassée, mais à titre d’ami.

— Vous me trompez, madame, dit la novice, vous avez été sa maîtresse !

— C’est vous qui l’avez été, madame, s’écria milady à son tour.

— Moi ! dit la novice.

— Oui, vous ; je vous connais maintenant ; vous êtes Mme Bonacieux.

La jeune femme se recula pleine de surprise et de terreur.

— Oh ! ne niez pas, répondez, reprit milady.

— Eh bien ! oui, madame, je l’aime, dit la novice. Sommes-nous rivales ?

La figure de milady s’illumina d’un feu tellement sauvage que, dans toute autre circonstance, Mme Bonacieux se fût enfuie d’épouvante ; mais elle était toute à sa jalousie.

— Voyons, dites, madame, reprit Mme Bonacieux avec une énergie dont on l’eût crue incapable, avez-vous été sa maîtresse ?