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— Impossible, madame, impossible ! murmura Felton, qui sentait au fond du cœur la justesse de cet argument ; prisonnière, vous ne recouvrerez pas par moi la liberté ; vivante, vous ne perdrez pas par moi la vie.

— Oui, s’écria milady, mais je perdrai ce qui m’est bien plus cher que la vie, je perdrai l’honneur, Felton, et c’est vous, vous que je ferai responsable devant Dieu et devant les hommes de ma honte et de mon infamie !

Cette fois Felton, tout impassible qu’il était ou qu’il faisait semblant d’être, ne put résister à l’influence secrète qui s’était déjà emparée de lui. Voir cette femme si belle, blanche comme la plus candide vision, la voir tour à tour éplorée et menaçante, subir à la fois l’ascendant de la douleur et de la beauté, c’était trop pour un visionnaire, c’était trop pour un cerveau miné par les rêves ardents de la foi extatique, c’était trop pour un cœur corrodé à la fois par l’amour du ciel, qui brûle, par la haine des hommes, qui dévore.

Milady vit le trouble, elle sentit par intuition la flamme des passions opposées qui brûlaient avec le sang dans les veines du jeune fanatique, et, pareille à un général habile qui, voyant l’ennemi prêt à reculer, marche sur lui en poussant un cri de victoire, elle se leva, belle comme une prêtresse antique, inspirée comme une vierge chrétienne, et, le bras étendu, le col découvert, les cheveux épars, retenant d’une main sa robe pudiquement ramenée sur sa poitrine, le regard illuminé de ce feu qui avait déjà porté le désordre dans les sens du jeune puritain, elle marcha vers lui, s’écriant sur un air véhément, de sa voix si douce, à laquelle dans l’occasion elle donnait un accent terrible :

Livre à Baal sa victime.
Jette aux lions le martyr ;
Dieu te fera repentir !…
Je crie à lui de l’abîme.

Felton s’arrêta comme pétrifié.

— Qui êtes-vous ! qui êtes-vous ! s’écria-t-il en joignant les mains ; êtes-vous ange ou démon ! vous appelez-vous Éloa ou Astarté ?

— Ne m’as-tu pas reconnue, Felton ? Je ne suis ni un ange ni un démon, je suis une fille de la terre, je suis une sœur de ta croyance, voilà tout.

— Oui, oui, dit Felton, je doutais encore, mais maintenant je crois.

— Tu crois, et cependant tu es le complice de cet enfant de Bélial qu’on appelle lord de Winter. Tu crois, et cependant tu me laisses aux mains de mes ennemis, de l’ennemi de l’Angleterre, de l’ennemi de Dieu ! Tu crois, et cependant tu me livres à celui qui remplit et souille le monde de ses hérésies et de ses débauches, à cet infâme Sardanapale que les aveugles nomment le duc de Buckingham et que les croyants appellent l’Antéchrist !

— Moi, vous livrer à Buckingham, moi ! que dites-vous là ?

— Ils ont des yeux, s’écria milady, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n’entendront point.

— Oui, oui, dit Felton en passant ses mains sur son front couvert de sueur, comme pour en arracher son dernier doute ; oui, je reconnais la voix qui me parle dans mes rêves ; oui, je reconnais les traits de l’ange qui m’apparaît chaque nuit, criant à mon âme, qui ne peut dormir : « Frappe, sauve l’Angleterre,