Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/455

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ne m’interrogez pas, dit la prisonnière ; vous savez bien qu’à nous autres véritables chrétiens, il nous est défendu de mentir.

— Eh bien ! dit Felton, je vais vous le dire, ce que vous faisiez, ou plutôt ce que vous alliez faire. Vous alliez achever l’œuvre fatale que vous nourrissez dans votre esprit. Songez-y, madame, si votre Dieu défend le mensonge, il défend bien plus sévèrement encore le suicide.

— Quand Dieu voit une de ses créatures persécutée injustement, placée entre le suicide et le déshonneur, croyez-moi, monsieur, répondit milady d’un ton de profonde conviction, Dieu lui pardonne le suicide, car alors le suicide c’est le martyre.

— Vous en dites trop ou trop peu ; parlez, madame, au nom du ciel, expliquez-vous !

— Que je vous raconte mes malheurs, pour que vous les traitiez de fables ! que je vous dise mes projets, pour que vous alliez les dénoncer à mon persécuteur ! Non, monsieur. D’ailleurs, que vous importe la vie ou la mort d’une malheureuse condamnée ? vous ne répondez que de mon corps, n’est-ce pas ? et pourvu que vous représentiez un cadavre qui soit reconnu pour le mien, on ne vous en demandera pas davantage, et peut-être même aurez-vous double récompense.

— Moi ! madame, moi ! s’écria Felton ; supposer que j’accepterais jamais le prix de votre vie ! Oh ! vous ne pensez pas ce que vous dites.

— Laissez-moi faire, Felton ; laissez-moi faire, dit milady en s’exaltant ; tout soldat doit être ambitieux, n’est-ce pas ? Vous êtes lieutenant, eh bien ! vous suivrez mon convoi avec le grade de capitaine.

— Mais que vous ai-je donc fait, dit Felton ébranlé, pour que vous me chargiez d’une pareille responsabilité devant les hommes et devant Dieu ? Dans quelques jours vous allez être loin d’ici, madame ; votre vie ne sera plus sous ma garde, et, ajouta-t-il avec un soupir, alors… alors vous en ferez ce que vous voudrez.

— Ainsi, s’écria milady, comme si elle ne pouvait résister à une sainte indignation, vous, un homme pieux, vous que l’on appelle un juste, vous ne demandez qu’une chose, c’est de n’être point inculpé, inquiété pour ma mort ?

— Je dois veiller sur votre vie, madame, et j’y veillerai.

— Mais comprenez-vous la mission que vous remplissez ? Cruelle déjà si j’étais coupable, quel nom lui donnerez-vous, quel nom le Seigneur lui donnera-t-il si je suis innocente ?

— Je suis soldat, madame, et j’accomplis les ordres que j’ai reçus.

— Croyez-vous qu’au jour du jugement dernier Dieu séparera les bourreaux aveugles des juges iniques ? vous ne voulez pas que je tue mon corps, et vous vous faites l’agent de celui qui veut tuer mon âme !

— Mais je vous le répète, reprit Felton ébranlé, aucun danger ne vous menace, et je réponds de lord de Winter comme de moi-même.

— Insensé ! s’écria milady, pauvre insensé, qui ose répondre d’un autre homme, quand les plus sages, quand les plus grands selon Dieu hésitent à répondre d’eux-mêmes, et qui se range du parti le plus fort et le plus heureux, pour accabler la plus faible et la plus malheureuse !