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— Oh ! vous n’avoueriez pas cette indifférence religieuse, milord, que vos débauches et vos crimes en font foi.

— Hein ! vous parlez de débauches, madame Messaline ! vous parlez de crimes, lady Macbeth ! ou j’ai mal entendu, ou vous êtes, pardieu ! bien impudente.

— Vous parlez ainsi parce que vous savez qu’on nous écoute, monsieur, répondit froidement milady, et que vous voulez intéresser vos geôliers et vos bourreaux contre moi.

— Mes geôliers ! mes bourreaux ! Ouais, madame, vous le prenez sur un ton poétique, et la comédie d’hier tourne ce soir à la tragédie. Au reste, dans huit jours vous serez où vous devez être, et ma tâche sera achevée.

— Tâche infâme, tâche impie ! reprit milady avec l’exaltation de la victime qui provoque son juge.

— Je crois, ma parole d’honneur, dit de Winter en se levant, que la drôlette devient folle. Allons, allons, calmez-vous, madame la puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu ! c’est mon vin d’Espagne qui vous monte à la tête, n’est-ce pas ? mais soyez tranquille, cette ivresse-là n’est pas dangereuse et n’aura pas de suites.

Et lord de Winter se retira en jurant, ce qui à cette époque était une habitude toute cavalière.

Felton était en effet derrière la porte et n’avait pas perdu un mot de toute cette scène.

Milady avait deviné juste.

— Oui, va ! va ! dit-elle à son frère, les suites approchent, au contraire ; mais tu ne les sauras, imbécile, que lorsqu’il ne sera plus temps de les éviter.

Le silence se rétablit, deux heures s’écoulèrent ; on apporta le souper, et l’on trouva milady occupée à faire tout haut ses prières, prières qu’elle avait apprises d’un vieux serviteur de son second mari, puritain des plus austères. Elle semblait en extase, et ne parut pas même faire attention à ce qui se passait autour d’elle. Felton fit signe qu’on ne la dérangeât point, et lorsque tout fut en état, il sortit sans bruit avec les soldats.

Milady savait qu’elle pouvait être épiée, elle continua donc ses prières jusqu’à la fin, et il lui sembla que le soldat qui était de sentinelle à sa porte ne marchait plus du même pas et paraissait écouter.

Pour le moment, elle n’en voulait pas davantage ; elle se releva, se mit à table, mangea peu et ne but que de l’eau.

Une heure après on vint enlever la table, mais milady remarqua que cette fois Felton n’accompagnait point les soldats.

Il craignait donc de la voir trop souvent.

Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce sourire une telle expression de triomphe, que ce seul sourire l’eût dénoncée.

Elle laissa encore s’écouler une demi-heure, et comme en ce moment tout faisait silence dans le vieux château, comme on n’entendait que l’éternel murmure de la houle, cette respiration immense de l’Océan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commença le premier couplet de ce psaume alors en faveur entière près des puritains :

Seigneur, si tu nous abandonnes,
C’est pour voir si nous sommes forts,