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lord de Winter tous ces affreux secrets, qu’il a découverts les uns après les autres par une sorte de fatalité. Il connaît son beau-frère, il lui aura écrit.

Que de haine elle distille. Là, immobile, et les yeux ardents et fixes dans son appartement désert, comme les éclats de ses rugissements sourds, qui parfois s’échappent du fond de sa poitrine accompagnent bien le bruit de la houle, qui monte, gronde, mugit et vient se briser comme un désespoir éternel et impuissant contre les rochers sur lesquels est bâti ce château sombre et orgueilleux. Comme à la lueur des éclairs que sa colère orageuse fait briller dans son esprit, elle conçoit contre Mme Bonacieux, contre Buckingham, et surtout contre d’Artagnan, de magnifiques projets de vengeance, perdus dans les lointains de l’avenir.

Oui, mais pour se venger il faut être libre, et pour être libre quand on est prisonnier, il faut percer un mur, desceller des barreaux, trouer un plancher, toutes entreprises que peut mener à bout un homme patient et fort, mais devant lesquelles doivent échouer les irritations fébriles d’une femme. D’ailleurs, pour faire tout cela, il faut avoir le temps, des mois, des années, et elle, elle a dix à douze jours, à ce que lui a dit lord de Winter, son fraternel et terrible geôlier.

Et cependant, si elle était un homme, elle tenterait tout cela, et peut-être réussirait-elle ! pourquoi donc le ciel s’est-il ainsi trompé en mettant cette âme virile dans ce corps frêle et délicat ?

Aussi les premiers moments de la captivité ont été terribles : quelques convulsions de rage, qu’elle n’a pu vaincre, ont payé sa dette de faiblesse féminine à la nature. Mais peu à peu elle a surmonté les éclats de sa folle colère, les frémissements nerveux qui ont agité son corps ont disparu, et maintenant elle s’est repliée sur elle-même comme un serpent fatigué qui se repose.

— Allons, allons, j’étais folle de m’emporter ainsi, dit-elle en plongeant dans la glace qui reflète à ses yeux son regard brûlant, par lequel elle semble s’interroger elle-même. Pas de violence ! La violence est une preuve de faiblesse ; d’abord, je n’ai jamais réussi par ce moyen. Peut-être, si j’usais de ma force contre des femmes, aurais-je chance de les trouver plus faibles encore que moi, et par conséquent de les vaincre ; mais c’est contre des hommes que je lutte, et je ne suis qu’une femme pour eux. Luttons en femme : ma force est dans ma faiblesse.

Alors, comme pour se rendre compte à elle-même des changements qu’elle pouvait imposer à sa physionomie si expressive et si mobile, elle lui fit prendre à la fois toutes les expressions, depuis celle de la colère, qui crispait ses traits, jusqu’à celle du plus doux, du plus affectueux et du plus séduisant sourire. Puis ses cheveux prirent successivement sous ses mains savantes les ondulations qu’elle crut pouvoir aider aux charmes de son visage. Enfin elle murmura, satisfaite d’elle-même :

— Allons, rien n’est perdu. Je suis toujours belle.

Il était huit heures du soir à peu près. Milady aperçut un lit, elle pensa qu’un repos de quelques heures rafraîchirait non seulement sa tête et ses idées, mais encore son teint. Cependant, avant de se coucher, une idée meilleure lui vint : elle avait entendu parler de souper. Déjà elle était depuis une heure dans cette chambre, on ne pouvait tarder à lui apporter son repas. La prisonnière ne voulut pas perdre de temps, et elle résolut de faire dès cette même soirée quelque