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maximes, car eux aussi avaient des maximes, que peu importait que les femmes, les enfants et les vieillards mourussent, pourvu que les hommes qui devaient défendre leurs murailles restassent forts et bien portants. Jusque-là, soit dévoûment, soit impuissance de réagir contre elle, cette maxime, sans être généralement adoptée, était cependant passée de la théorie à la pratique ; mais les billets vinrent y porter atteinte. Les billets rappelaient aux hommes que ces enfants, ces femmes, ces vieillards qu’on laissait mourir étaient leurs fils, leurs épouses et leurs pères ; qu’il serait plus juste que chacun fût réduit à la misère commune, afin qu’une même position fît prendre des résolutions unanimes.

Ces billets firent tout l’effet qu’en pouvait attendre celui qui les avait écrits, en ce qu’ils déterminèrent un grand nombre d’habitants à ouvrir des négociations avec l’armée royale.

Mais au moment où le cardinal voyait déjà fructifier son moyen et s’applaudissait de l’avoir mis en usage, un habitant de La Rochelle, qui avait pu passer à travers les lignes royales, Dieu sait comment, tant était grande la triple surveillance de Bassompierre, de Schomberg et du duc d’Angoulême, surveillés eux-mêmes par le cardinal ; un habitant de La Rochelle, disons-nous, entra dans la ville, venant de Portsmouth et disant qu’il avait vu une flotte magnifique prête à mettre à la voile avant huit jours. De plus Buckingham annonçait au maire qu’enfin la grande ligue contre la France allait se déclarer et que le royaume allait être envahi à la fois par les armées anglaises, impériales et espagnoles. Cette lettre fut lue publiquement sur toutes les places, on en afficha la copie aux angles des rues, et ceux-là mêmes qui avaient commencé d’ouvrir des négociations les interrompirent, résolus d’attendre ce secours si pompeusement annoncé.

Cette circonstance inattendue rendit à Richelieu ses inquiétudes premières et le força malgré lui à tourner de nouveau les yeux de l’autre côté de la mer.

Pendant ce temps, exempte des inquiétudes de son seul et véritable chef, l’armée royale menait joyeuse vie, les vivres ne manquant pas au camp, ni l’argent non plus. Tous les corps rivalisaient d’audace et de gaîté. Prendre des espions et les pendre, faire des expéditions hasardeuses sur la digue ou sur la mer, imaginer des folies, les exécuter froidement, tel était le passetemps qui faisait trouver courts à l’armée ces jours si longs, non seulement pour les Rochelois, rongés par la famine et l’anxiété, mais encore pour le cardinal, qui les bloquait si vivement.

Quelquefois, quand le cardinal, toujours chevauchant comme le dernier gendarme de l’armée, promenait son regard pensif sur ces ouvrages si lents au gré de son désir, qu’élevaient sous son ordre les ingénieurs qu’il faisait venir de tous les coins de la France. S’il rencontrait un mousquetaire de la compagnie de M. de Tréville, il s’approchait de lui le regardait d’une façon singulière, et ne le reconnaissant pas pour un de nos quatre compagnons, il laissait aller ailleurs son regard profond et sa vaste pensée.

Un jour où, rongé d’un mortel ennui, sans espérance dans les négociations avec la ville, sans nouvelles d’Angleterre, le cardinal était sorti sans autre but que de sortir, accompagné seulement de Cahusac et de La Houdinière, longeant les grèves et mêlant l’immensité de ses rêves à l’immensité de l’océan, il arriva au petit pas de son cheval sur une colline du haut de laquelle il aperçut derrière