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On eût dit qu’entre cet homme et ses inférieurs la langue parlée n’existait pas ou devenait inutile.

Enfin milady n’y put tenir plus longtemps, elle rompit le silence.

— Au nom du ciel, s’écria-t-elle, monsieur, que veut dire tout ce qui se passe ? Fixez mes irrésolutions ; j’ai du courage pour tout danger que je prévois, pour tout malheur que je comprends. Où suis-je et que suis-je ici ? suis-je libre ? pourquoi ces barreaux et ces portes ? suis-je prisonnière ? quel crime ai-je commis ?

— Vous êtes ici dans l’appartement qui vous est destiné, madame. J’ai reçu l’ordre d’aller vous prendre en mer et de vous conduire en ce château. Cet ordre, je l’ai accompli, je crois, avec toute la rigidité d’un soldat, mais en même temps avec toute la courtoisie d’un gentilhomme. Là se termine, du moins jusqu’à présent, la charge que j’avais à remplir près de vous ; le reste regarde une autre personne.

— Et cette autre personne, quelle est-elle ? demanda milady ; ne pouvez-vous me dire son nom ?

En ce moment on entendit par les escaliers un grand bruit d’éperons ; quelques voix passèrent et s’éteignirent, et le bruit d’un pas isolé se rapprocha de la porte.

— Cette personne, la voici, madame, dit l’officier en démasquant le passage, et en se rangeant dans l’attitude du respect et de la soumission.

En même temps, la porte s’ouvrit. Un homme parut sur le seuil.

Il était sans chapeau, portait l’épée au côté et froissait un mouchoir entre ses doigts.

Milady crut reconnaître cette ombre dans l’ombre ; elle s’appuya d’une main sur le bras de son fauteuil, et avança la tête comme pour aller au-devant d’une certitude.

Alors l’étranger s’avança lentement, et à mesure qu’il s’avançait, en entrant dans le cercle de lumière projeté par la lampe, milady se reculait involontairement.

Puis, lorsqu’elle n’eut plus aucun doute :

— Eh quoi ! mon frère, s’écria-t-elle au comble de la stupeur, c’est vous ?

— Oui, belle dame ! répondit lord de Winter en faisant un salut moitié courtois, moitié ironique ; moi-même.

— Mais alors, ce château ?

— Est à moi.

— Cette chambre ?

— C’est la vôtre.

— Je suis donc votre prisonnière ?

— À peu près.

— Mais c’est un affreux abus de la force !

— Pas de grands mots ; asseyons-nous et causons tranquillement, comme il convient de faire entre un frère et une sœur.

Puis se retournant vers la porte et voyant que le jeune officier attendait ses derniers ordres :

— C’est bien, dit-il, je vous remercie ; maintenant, laissez-nous, M. Felton.