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foncés sa bouche, fine et bien dessinée, demeurait immobile dans ses lignes correctes ; son menton, vigoureusement accusé, dénotait cette force de volonté qui, dans le type vulgaire britannique, n’est ordinairement que de l’entêtement ; un front un peu fuyant, comme il convient aux poètes, aux enthousiastes et aux soldats, était à peine ombragé d’une chevelure courte et clair-semée qui, comme la barbe qui couvrait le bas de son visage, était d’une belle couleur châtain foncé.

Lorsqu’on entra dans le port, il faisait déjà nuit. La brume épaississait encore l’obscurité et formait, autour des fanaux et des lanternes des jetées, un cercle pareil à celui qui entoure la lune quand le temps menace de devenir pluvieux. L’air qu’on respirait était triste, humide et froid.

Milady, cette femme si forte, se sentait frissonner malgré elle.

L’officier se fit indiquer les paquets de milady, fit porter son bagage dans le canot ; et lorsque cette opération fut faite, il l’invita à y descendre elle-même en lui tendant sa main.

Milady regarda cet homme et hésita.

— Qui êtes-vous, monsieur, demanda-t-elle, qui avez la bonté de vous occuper si particulièrement de moi ?

— Vous devez le voir, madame, à mon uniforme. Je suis officier de la marine anglaise, répondit le jeune homme.

— Mais enfin, est-ce l’habitude que les officiers de la marine anglaise se mettent aux ordres de leurs compatriotes lorsqu’ils abordent dans un port de la Grande-Bretagne, et poussent la galanterie jusqu’à les conduire à terre ?

— Oui, milady, c’est l’habitude, non point par galanterie, mais par prudence, qu’en temps de guerre les étrangers soient conduits à une hôtellerie désignée, afin que, jusqu’à parfaite information sur eux, ils restent sous la surveillance du gouvernement.

Ces mots furent prononcés avec la politesse la plus exacte et le calme le plus parfait. Cependant ils n’eurent point le don de convaincre milady.

— Mais je ne suis pas étrangère, monsieur, dit-elle avec l’accent le plus pur qui ait jamais retenti de Portsmouth à Manchester ; je me nomme lady Clarick, et cette mesure…

— Cette mesure est générale, milady, et vous tenteriez inutilement de vous y soustraire.

— Je vous suivrai donc, monsieur.

Et acceptant la main de l’officier, elle commença de descendre l’échelle au bas de laquelle l’attendait le canot. L’officier la suivit ; un grand manteau était étendu à la poupe ; l’officier la fit asseoir sur le manteau et s’assit près d’elle.

— Nagez, dit-il aux matelots.

Les huit rames retombèrent dans la mer ne formant qu’un seul bruit, ne frappant qu’un seul coup, et le canot sembla voler sur la surface de l’eau.

Au bout de cinq minutes on touchait à terre.

L’officier sauta sur le quai et offrit la main à milady.

Une voiture attendait.

— Cette voiture est-elle pour nous ? demanda milady.

— Oui, madame, répondit l’officier.