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tant de côté ; mais, par ce mouvement, il livra passage au bandit, qui s’élança aussitôt vers le bastion. Comme les Rochelois qui le gardaient ignoraient dans quelle intention cet homme venait à eux, ils firent feu sur lui, et il tomba frappé d’une balle qui lui brisa l’épaule.

Pendant ce temps, d’Artagnan s’était jeté sur le second soldat, l’attaquant avec son épée. La lutte ne fut pas longue : ce misérable n’avait pour se défendre que son arquebuse déchargée. L’épée du garde glissa contre le canon de l’arme devenue inutile, et alla traverser la cuisse de l’assassin, qui tomba. D’Artagnan lui mit aussitôt la pointe du fer sur la gorge.

— Oh ! ne me tuez pas ! s’écria le bandit. Grâce ! grâce ! mon officier, et je vous dirai tout.

— Ton secret vaut-il la peine que je te garde la vie ? demanda le jeune homme.

— Oui, si vous estimez que l’existence soit quelque chose quand on a vingt-deux ans comme vous et qu’on peut arriver à tout, étant beau et brave comme vous l’êtes.

— Misérable ! dit d’Artagnan, voyons, parle vite. Qui t’a chargé de m’assassiner ?

— Une femme que je ne connais pas, mais qu’on appellait milady.

— Mais si tu ne connais pas cette femme, comment sais-tu son nom ?

— Mon camarade la connaissait et l’appelait ainsi ; c’est à lui qu’elle a eu affaire, et non pas à moi. Il a même dans sa poche une lettre de cette personne, qui doit avoir pour vous une grande importance, à ce que je lui ai entendu dire.

— Mais comment te trouves-tu de moitié dans ce guet-apens ?

— Il m’a proposé de faire le coup à nous deux, et j’ai accepté.

— Et combien vous a-t-elle donné pour cette belle expédition ?

— Cent louis.

— Eh bien ! à la bonne heure, dit le jeune homme en riant, elle estime que je vaux quelque chose. Cent louis, c’est une somme pour deux misérables comme vous. Aussi je comprends que tu aies accepté, et je te fais grâce, mais à une condition.

— Laquelle ? demanda le soldat inquiet en voyant que tout n’était pas fini.

— C’est que tu vas aller me chercher la lettre que ton camarade a dans sa poche.

— Mais, s’écria le bandit, c’est une autre manière de me tuer. Comment voulez-vous que j’aille chercher cette lettre sous le feu du bastion ?

— Il faut pourtant que tu te décides à l’aller chercher, ou je te jure que tu vas mourir de ma main.

— Grâce ! monsieur, pitié ! au nom de cette jeune dame que vous aimez, que vous croyez morte peut-être et qui ne l’est pas, s’écria le bandit en se mettant à genoux et s’appuyant sur sa main, car il commençait à perdre ses forces avec son sang.

— Et d’où sais-tu qu’il y a une jeune femme que j’aime et que j’ai cru cette femme morte ? demanda d’Artagnan.

— Par cette lettre que mon camarade a dans sa poche.

— Tu vois bien alors qu’il faut que j’aie cette lettre, dit d’Artagnan. Ainsi donc plus de retard, plus d’hésitation, ou, quelle que soit ma répugnance à