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— Grand Dieu ! s’écria d’Artagnan en lâchant le peignoir ; et il demeura muet, immobile et glacé à sa place.

Mais milady se sentait dénoncée par l’effroi même de d’Artagnan. Sans doute il avait tout vu ; le jeune homme maintenant savait son secret, secret terrible, que tout le monde ignorait, excepté lui !

Elle se retourna, non plus comme une femme furieuse, mais comme une panthère blessée.

— Ah ! misérable ! dit-elle, tu m’as lâchement trahie, et de plus, tu as mon secret ! Tu mourras !

Et elle courut à un coffret de marqueterie posé sur sa toilette, l’ouvrit d’une main fiévreuse et tremblante, en tira un petit poignard à manche d’or, à la lame aiguë et mince, et revint d’un bond sur d’Artagnan, à demi nu.

Quoique le jeune homme fût brave, il fut épouvanté de cette figure bouleversée, de ces pupilles dilatées horriblement, de ces joues pâles et de ces lèvres sanglantes ; il recula jusqu’à la ruelle, comme il eût fait à l’approche d’un serpent qui eût rampé vers lui, et son épée se rencontrant sous sa main souillée de sueur, il la tira du fourreau.

Mais sans s’inquiéter à la vue de l’épée, milady continua d’avancer vers lui pour le frapper, et elle ne s’arrêta que lorsqu’elle sentit la pointe aiguë sur sa gorge.

Alors elle essaya de saisir cette épée avec les mains, mais d’Artagnan l’écarta toujours de ses étreintes et, la lui présentant, tantôt aux yeux, tantôt à la gorge, il se laissa glisser à bas du lit, cherchant, pour faire retraite, la porte qui conduisait chez Ketty.

Milady, pendant ce temps, se ruait sur lui avec d’horribles transports, en rugissant d’une façon formidable.

Cependant, cela finissait par ressembler à un duel, d’Artagnan se remettait peu à peu.

— Bien, belle dame, bien, disait-il : mais, de par Dieu ! calmez-vous, ou je vous dessine une seconde fleur de lis sur l’autre épaule.

— Infâme ! infâme ! hurlait milady.

Mais d’Artagnan, cherchant toujours la porte, se tenait sur la défensive.

Au bruit qu’ils faisaient, elle, renversant les meubles pour aller à lui, et lui s’abritant derrière les meubles pour se garantir d’elle, Ketty ouvrit la porte. D’Artagnan, qui avait sans cesse manœuvré pour se rapprocher de cette porte, n’en était plus qu’à trois pas. D’un seul élan il s’élança de la chambre de milady dans celle de la suivante, et, rapide comme l’éclair, il referma la porte, contre laquelle il s’appuya de tout son poids tandis que Ketty poussait les verrous.

Alors milady essaya de renverser l’arc-boutant qui l’enfermait dans sa chambre, avec des forces bien au-dessus de celles d’une femme ; puis, lorsqu’elle sentit que c’était chose impossible, elle cribla la porte de coups de poignard, dont quelques-uns traversèrent l’épaisseur du bois.

Chaque coup était accompagné d’une imprécation terrible.

— Vite, vite, Ketty, dit d’Artagnan à demi-voix lorsque les verrous furent mis, fais-moi sortir de l’hôtel, ou si nous lui laissons le temps de se retourner, elle me fera tuer par les laquais.