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— Quoi ?

— Qu’il est loin d’être ou plutôt d’avoir été aussi coupable envers vous qu’il le paraît.

— En vérité ! dit milady d’un air inquiet ; expliquez-vous, car je ne sais vraiment ce que vous voulez dire.

Et elle regardait d’Artagnan, qui la tenait embrassée, avec des yeux qui semblaient s’enflammer peu à peu d’un feu sinistre.

— Oui, je suis galant homme, moi, dit d’Artagnan décidé à en finir ; et depuis que votre amour est à moi, que je suis bien sûr de le posséder, car je le possède, n’est-ce pas ?

— Tout entier. Continuez.

— Eh bien ! je me sens comme transformé : un aveu me pèse.

— Un aveu ?

— Si j’eusse douté de votre amour, je ne l’aurais pas fait ; mais vous m’aimez, ma belle maîtresse, n’est-il pas que vous m’aimez ?

— Sans doute.

— Alors, si par excès d’amour je me suis rendu coupable envers vous, vous me pardonnerez ?

— Peut-être. Mais cet aveu, dit-elle en pâlissant, quel est cet aveu ?

— Vous aviez donné rendez-vous à de Wardes, jeudi dernier, dans cette même chambre, n’est-ce pas ?

— Moi ! non ! cela n’est pas, dit milady d’un ton de voix si ferme et d’un visage si impassible, que si d’Artagnan n’eût pas eu une certitude si parfaite, il aurait douté.

— Ne mentez pas, mon bel ange, dit d’Artagnan en s’efforçant de sourire ; ce serait inutile.

— Comment cela ? parlez donc ! vous me faites mourir !

— Oh ! rassurez-vous ; vous n’êtes point coupable envers moi, et je vous ai déjà pardonné.

— Après, après ? dit milady.

— De Wardes ne peut se glorifier de rien.

— Pourquoi ? Vous m’avez dit vous-même que cette bague…

— Cette bague, cher amour, c’est moi qui l’ai. Le de Wardes de jeudi et le d’Artagnan d’aujourd’hui sont la même personne.

L’imprudent s’attendait à une surprise mêlée de pudeur, à un petit orage qui se résoudrait en larmes ; mais il se trompait étrangement, et son erreur ne fut pas longue !

Pâle et terrible, milady se redressa, et repoussant d’Artagnan d’un violent coup dans la poitrine, elle s’élança hors du lit.

Il faisait alors presque grand jour. D’Artagnan la retint par son peignoir de fine toile des Indes pour implorer son pardon ; mais elle, d’un mouvement puissant et résolu, elle essaya de fuir. Alors la batiste se déchira en laissant à nu les épaules, et, sur l’une de ces belles épaules rondes et blanches, d’Artagnan, avec un saisissement inexprimable, reconnut la fleur de lys, cette marque indélébile qu’imprime la main infamante du bourreau.