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Ce billet était d’abord un faux, c’était ensuite une indélicatesse ; c’était même, au point de vue de nos mœurs actuelles, quelque chose comme une infamie ; mais on se ménageait moins à cette époque qu’on ne le fait aujourd’hui. D’ailleurs, d’Artagnan, par les propres aveux de milady, la savait coupable de trahison à des chefs plus importants, et il n’avait pour elle qu’une estime fort mince, et pourtant une passion insensée le brûlait pour cette femme. Enfin, il avait à se venger de sa coquetterie envers lui et de sa conduite envers Mme Bonacieux.

Le plan de d’Artagnan était bien simple : par la chambre de Ketty il arrivait à celle de sa maîtresse ; il profitait du premier moment de surprise pour triompher d’elle ; il confondait la perfide, il menaçait de la compromettre par un éclat, et obtenait par la terreur tous les renseignements qu’il désirait sur le sort de Constance. Peut-être même la liberté de la jolie mercière serait-elle le résultat de cette entrevue

— Tiens, dit le jeune homme en remettant à Ketty le billet tout cacheté, donne cette lettre à Milady ; c’est la réponse de M. de Wardes.

La pauvre Ketty devint pâle comme la mort ; elle se doutait de ce que contenait le billet.

— Écoute, ma chère enfant, lui dit d’Artagnan, tu comprends qu’il faut que tout cela finisse d’une façon ou de l’autre ; milady peut découvrir que tu as remis le premier billet à mon valet, au lieu de le remettre au valet du comte ; que c’est moi qui ai décacheté les autres qui devaient être décachetés par M. de Wardes ; alors milady te chasse, et tu la connais, ce n’est pas une femme à borner là sa vengeance.

— Hélas ! dit Ketty, pour qui me suis-je exposée à tout cela ?

— Pour moi, je le sais bien, ma toute belle, dit le jeune homme ; aussi je t’en suis bien reconnaissant.

— Mais, enfin, que contient ce billet ?

— Milady te le dira.

— Ah ! vous ne m’aimez pas ! s’écria Ketty, et je suis bien malheureuse !

À ce reproche il y a une réponse à laquelle les femmes se trompent toujours ; d’Artagnan répondit de manière que Ketty demeurât dans la plus grande erreur. Cependant elle pleura beaucoup avant de se décider à remettre cette lettre à milady ; mais enfin elle se décida, c’est tout ce que voulait d’Artagnan.

D’ailleurs il lui promit que le soir il sortirait de bonne heure de chez sa maîtresse, et qu’en sortant de chez sa maîtresse il monterait chez elle. Cette promesse acheva de consoler la pauvre Ketty.