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— Ma foi ! J’admire ces trois magnifiques chevaux que les garçons d’écurie tiennent en bride ; c’est un plaisir de prince que de voyager sur de pareilles montures.

— Eh bien, mon cher Aramis, vous vous donnerez ce plaisir-là, car l’un de ces chevaux est à vous.

— Ah bah ! Et lequel ?

— Celui des trois que vous voudrez, je n’ai pas de préférence.

— Et le riche caparaçon qui le couvre est à moi aussi ?

— Sans doute.

— Vous voulez rire, d’Artagnan.

— Je ne ris plus depuis que vous parlez français.

— C’est pour moi, ces fontes dorées, cette housse de velours, cette selle chevillée d’argent ?

— À vous-même, comme le cheval qui piaffe est à moi, comme cet autre cheval qui caracole est à Athos.

— Peste ! ce sont trois bêtes superbes.

— Je suis flatté qu’elles soient de votre goût.

— C’est donc le roi qui vous a fait ce cadeau-là ?

— À coup sûr, ce n’est point le cardinal ; mais ne vous inquiétez pas d’où ils viennent, et songez seulement qu’un des trois est votre propriété.

— Je prends celui que tient le valet roux.

— À merveille !

— Vive Dieu ! s’écria Aramis, voilà qui me fait passer le reste de ma douleur ; je monterais là-dessus avec trente balles dans le corps. Ah ! sur mon âme, les beaux étriers ! Holà ! Bazin, venez çà, et à l’instant même.

Bazin apparut, morne et languissant, sur le seuil de la porte.

— Fourbissez mon épée, redressez mon feutre, brossez mon manteau et chargez mes pistolets ! dit Aramis.

— Cette dernière recommandation est inutile, interrompit d’Artagnan, il y a des pistolets chargés dans vos fontes.

Bazin soupira.

— Allons, maître Bazin, tranquillisez-vous, dit d’Artagnan ; on gagne le royaume des cieux dans toutes les conditions.

— Monsieur était déjà si bon théologien, dit Bazin presque larmoyant ; il fût devenu évêque et peut-être cardinal.

— Eh bien, mon pauvre Bazin, voyons, réfléchis un peu ; à quoi sert d’être homme d’Église, je te prie ? on n’évite pas pour cela d’aller faire la guerre ; tu vois bien que le cardinal va faire la première campagne avec le pot en tête et la pertuisane au poing ; et M. de Nogaret de la Valette, qu’en dis-tu ? il est cardinal aussi ; demande à son laquais combien de fois il lui a fait de la charpie.

— Hélas ! soupira Bazin, je le sais, monsieur, tout est bouleversé dans le monde aujourd’hui.

Pendant ce temps, les deux jeunes gens et le pauvre laquais étaient descendus.

— Tiens-moi l’étrier, Bazin, dit Aramis.

Et Aramis s’élança en selle avec sa grâce et sa légèreté ordinaire ; mais après quelques voltes et quelques courbettes du noble animal, son cavalier ressentit