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— Coussi ! coussi ! répondit Porthos. Il y a déjà trois ou quatre jours que l’impertinent m’a monté son compte, et que je les ai mis à la porte, son compte et lui ; de sorte que je suis ici comme une façon de vainqueur, comme une manière de conquérant. Aussi, vous le voyez, craignant toujours d’être forcé dans la position, je suis armé jusqu’aux dents.

— Cependant, dit en riant d’Artagnan, il me semble que de temps en temps vous faites des sorties.

Et il montrait du doigt les bouteilles et les casseroles.

— Non, pas moi, malheureusement, dit Porthos. Cette misérable foulure me retient au lit, mais Mousqueton bat la campagne et il rapporte des vivres. Mousqueton, mon ami, continua Porthos, vous voyez qu’il nous arrive du renfort ; il nous faudra un supplément de victuailles.

— Mousqueton, dit d’Artagnan, me rendrez un service, n’est-ce pas ?

— Lequel, monsieur ?

— C’est de donner votre recette à Planchet ; je pourrais me trouver assiégé à mon tour, et je ne serais pas fâché qu’il me fît jouir des mêmes avantages dont vous gratifiez votre maître.

— Eh ! mon Dieu, monsieur, dit Mousqueton d’un air modeste, rien de plus facile. Il s’agit d’être adroit, voilà tout. J’ai été élevé à la campagne, et mon père, dans ses moments perdus, était quelque peu braconnier.

— Et le reste du temps, que faisait-il ?

— Monsieur, il pratiquait une industrie que j’ai toujours trouvée assez heureuse.

— Laquelle ?

— Comme c’était au temps des guerres des catholiques et des huguenots, et qu’il voyait les catholiques exterminer les huguenots, et les huguenots exterminer les catholiques, le tout au nom de la religion, il s’était fait une croyance mixte, ce qui lui permettait d’être tantôt catholique, tantôt huguenot. Or, il se promenait habituellement, son escopette sur l’épaule, derrière les haies qui bordent les chemins, et quand il voyait venir un catholique seul, la religion protestante l’emportait aussitôt dans son esprit. Il abaissait son escopette dans la direction du voyageur ; puis, lorsqu’il était à dix pas de lui, il entamait un dialogue qui finissait presque toujours par l’abandon que le voyageur faisait de sa bourse pour sauver sa vie. Il va sans dire que lorsqu’il voyait venir un huguenot, il se sentait pris d’un zèle catholique si ardent, qu’il ne comprenait pas comment, un quart d’heure auparavant, il avait pu avoir des doutes sur la supériorité de notre sainte religion. Car, moi, monsieur, je suis catholique, mon père, fidèle à ses principes, ayant fait mon frère aîné huguenot.

— Et comment a fini ce digne homme ? demanda d’Artagnan.

— Oh ! de la façon la plus malheureuse, monsieur : un jour il s’est trouvé pris dans un chemin creux, entre un huguenot et un catholique à qui il avait déjà eu affaire et qui le reconnurent tous deux ; de sorte qu’ils se réunirent contre lui et le pendirent à un arbre, puis ils vinrent se vanter de la belle équipée qu’ils avaient faite, dans le cabaret du premier village, où nous étions à boire, mon frère et moi.

— Et que fîtes-vous ? dit d’Artagnan.

— Nous les laissâmes dire, reprit Mousqueton. Puis, comme, en sortant de ce