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— Je me suis informé de vous, et sachant que vous étiez ici, et je suis monté tout droit.

Porthos parut respirer plus librement.

— Et que vous est-il donc arrivé, mon cher Porthos ? continua d’Artagnan.

— Il m’est arrivé qu’en me fendant sur mon adversaire, à qui j’avais déjà allongé trois coups d’épée, et avec lequel je voulais en finir d’un quatrième, mon pied a porté sur une pierre, et je me suis foulé le genou.

— Vraiment !

— D’honneur ! Heureusement pour le maraud, car je ne l’aurais laissé que mort sur la place, je vous en réponds.

— Et qu’est-il devenu ?

— Oh ! je n’en sais rien ; il en a eu assez, et il est parti sans demander son reste. Mais vous, mon cher d’Artagnan, que vous est-il arrivé ?…

— De sorte, continua d’Artagnan, que cette foulure, mon cher Porthos, vous retient au lit.

— Ah ! mon Dieu, oui, voilà tout ; du reste, dans quelques jours je serai sur pied.

— Pourquoi alors ne vous êtes-vous pas fait transporter à Paris ? Vous devez vous ennuyer cruellement ici.

— C’était mon intention ; mon cher ami, il faut que je vous avoue une chose.

— Laquelle ?

— C’est que, comme je m’ennuyais cruellement, ainsi que vous le dites, et que j’avais dans ma poche les soixante-quinze pistoles que vous m’aviez distribuées j’ai, pour me distraire, fait monter près de moi un gentilhomme qui était de passage, et auquel j’ai proposé de faire une partie de dés. Il a accepté, et, ma foi, mes soixante-quinze pistoles sont passées de ma poche dans la sienne, sans compter mon cheval, qu’il a encore emporté par dessus le marché. Mais vous, mon cher d’Artagnan ?

— Que voulez-vous ? mon cher Porthos, on ne peut pas être privilégié de toutes façons, dit d’Artagnan ; vous savez le proverbe : « Malheureux au jeu, heureux en amour. » Vous êtes trop heureux en amour pour que le jeu ne se venge pas ; mais que vous importent à vous les revers de la fortune ? n’avez-vous pas, heureux coquin que vous êtes, n’avez-vous pas votre duchesse, qui ne peut manquer de vous venir en aide ?

— Eh bien ! voyez, mon cher d’Artagnan, comme je joue de guignon, répondit Porthos de l’air le plus dégagé du monde ; je lui ai écrit de m’envoyer quelque cinquante louis dont j’avais absolument besoin, vu la position où je me trouvais…

— Eh bien ?

— Eh bien ! il faut qu’elle soit dans ses terres, car elle ne m’a pas répondu !

— Vraiment ?

— Non. Aussi je lui ai adressé hier une seconde épître plus pressante encore que la première ; mais vous voilà, mon très cher, parlons de vous. Je commençais, je vous l’avoue, à être dans une certaine inquiétude sur votre compte.

— Mais votre hôte se conduit bien envers vous, à ce qu’il paraît, mon cher Porthos, dit d’Artagnan, montrant au malade les casseroles pleines et les bouteilles vides.