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Le ballet fini au milieu des applaudissements de toute la salle, chacun reconduisit sa dame à sa place ; mais le roi profita du privilége qu’il avait de laisser la sienne où il se trouvait pour s’avancer vivement vers la reine.

— Je vous remercie, madame, lui dit-il, de la déférence que vous avez montrée pour mes désirs, mais je crois qu’il vous manque deux ferrets, et je vous les rapporte.

À ces mots il tendit à la reine les deux ferrets que lui avait remis le cardinal.

— Comment, Sire, s’écria la reine jouant la surprise, vous m’en donnez encore deux autres ; mais alors cela m’en fera donc quatorze.

En effet le roi compta, et les douze ferrets se trouvèrent sur Sa Majesté.

Le roi appela le cardinal :

— Eh bien ! que signifie cela, monsieur le cardinal ? demanda le roi d’un ton sévère.

— Cela signifie, Sire, répondit le cardinal, que je désirais faire accepter ces deux ferrets à la reine, et que n’osant les lui offrir moi-même, j’ai adopté ce moyen.

— Et j’en suis d’autant plus reconnaissante à Votre Éminence, répondit Anne d’Autriche avec un sourire qui prouvait qu’elle n’était pas dupe de cette ingénieuse galanterie, que je suis certaine que ces deux ferrets vous coûtent aussi cher à eux seuls que les douze autres ont coûté à Sa Majesté.

Puis, ayant salué le roi et le cardinal, la reine reprit le chemin de la chambre où elle s’était habillée et où elle devait se dévêtir.

L’attention que nous avons été obligés de donner pendant le commencement de ce chapitre aux personnages illustres que nous y avons introduits, nous a écartés un instant de celui à qui Anne d’Autriche devait le triomphe inouï qu’elle venait de remporter sur le cardinal, et qui, confondu, ignoré, perdu dans la foule entassée à l’une des portes, regardait de là cette scène compréhensible seulement pour quatre personnes : le roi, la reine, Son Éminence et lui.

La reine venait de regagner sa chambre, et d’Artagnan s’apprêtait à se retirer, lorsqu’il sentit qu’on lui touchait légèrement l’épaule ; il se retourna, et vit une jeune femme qui lui faisait signe de la suivre. Cette jeune femme avait le visage couvert d’un loup de velours noir, mais malgré cette précaution, qui, au reste, était bien plutôt prise pour les autres que pour lui, il reconnut à l’instant même son guide ordinaire, la légère et spirituelle Mme Bonacieux.

La veille ils s’étaient vus à peine chez le suisse Germain, où d’Artagnan l’avait fait demander. La hâte qu’avait la jeune femme de porter à la reine cette excellente nouvelle de l’heureux retour de son messager fit que les deux amants échangèrent à peine quelques paroles. D’Artagnan suivit donc Mme Bonacieux, mu par un double sentiment, l’amour et la curiosité. Pendant toute la route, et à mesure que les corridors devenaient plus déserts, d’Artagnan voulait arrêter la jeune femme, la saisir, la contempler, ne fût-ce qu’un instant ; mais, vive comme un oiseau, elle glissait toujours entre ses mains, et lorsqu’il voulait parler, son doigt ramené sur sa bouche avec un petit geste impératif plein de charme lui rappelait qu’il était sous l’empire d’une puissance à laquelle il devait aveuglément obéir et qui lui interdisait jusqu’à la plus légère plainte ; enfin, après une minute ou deux de tours et de détours, Mme Bonacieux ouvrit une porte et intro-