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mais, au bout de trois mois, le pénitent reparut dans le monde avec la réputation du plus terrible possédé qui eût jamais existé.

En sortant du couvent, il entra dans la magistrature, devint président à mortier à la place de son oncle, embrassa le parti du cardinal, ce qui ne prouvait pas peu de sagacité, devint chancelier, servit Son Éminence avec zèle dans sa haine contre la reine mère et sa vengeance contre Anne d’Autriche, stimula les juges dans l’affaire de Chalais, encouragea les essais de M. de Laffemas, grand gibecier de France, puis enfin, investi de toute la confiance du cardinal, confiance qu’il avait si bien gagnée, il en vint à recevoir la singulière commission pour l’exécution de laquelle il se présentait chez la reine.

La reine était encore debout quand il entra, mais à peine l’eut-elle aperçu, qu’elle se rassit sur son fauteuil et fit signe à ses femmes de se rasseoir sur leurs coussins et leurs tabourets, et d’un ton de suprême hauteur :

— Que désirez-vous, monsieur, demanda Anne d’Autriche, et dans quel but vous présentez-vous ici ?

— Pour y faire au nom du roi, madame, et sauf tout le respect que j’ai l’honneur de devoir à Votre Majesté, une perquisition exacte dans vos papiers.

— Comment, monsieur ! une perquisition dans mes papiers… à moi ! Mais voilà une chose indigne !

— Veuillez me le pardonner, madame ; mais dans cette circonstance, je ne suis que l’instrument dont le roi se sert. Sa Majesté ne sort-elle pas d’ici et ne vous a-t-elle pas invitée elle-même à vous préparer à cette visite ?

— Fouillez donc, monsieur ; je suis une criminelle, à ce qu’il paraît. Estefania, donnez les clefs de mes tables et de mes secrétaires.

Le chancelier fit pour la forme une visite dans les meubles, mais il savait bien que ce n’était pas dans un meuble que la reine avait dû serrer la lettre importante qu’elle avait écrite dans la journée.

Quand le chancelier eut rouvert et refermé vingt fois les tiroirs du secrétaire, il fallut bien, quelque hésitation qu’il éprouvât, il fallut bien, dis-je, en venir à la conclusion de l’affaire, c’est-à-dire à fouiller la reine elle-même. Le chancelier s’avança donc vers Anne d’Autriche, et d’un ton très perplexe et d’un air fort embarrassé :

— Et maintenant, dit-il, il me reste à faire la perquisition principale.

— Laquelle ? demanda la reine, qui ne comprenait pas, ou plutôt qui ne voulait pas comprendre.

— Sa Majesté est certaine qu’une lettre a été écrite par vous dans la journée, elle sait qu’elle n’a pas encore été envoyée à son adresse. Cette lettre ne se trouve ni dans votre table, ni dans votre secrétaire, et cependant cette lettre est quelque part.

— Oserez-vous porter la main sur votre reine ? dit Anne d’Autriche en se dressant de toute sa hauteur et en fixant sur le chancelier ses yeux, dont l’expression était devenue presque menaçante.

— Je suis un fidèle sujet du roi, madame, et tout ce que Sa Majesté ordonnera, je le ferai.

— Eh bien, c’est vrai, dit Anne d’Autriche, et les espions de M. le cardinal