Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, vous. Il y a danger de la prison, il y a danger de la vie à me connaître.

— Alors, je ne vous quitte plus.

— Monsieur, dit la jeune femme suppliante et joignant les mains, monsieur, au nom du ciel, au nom de l’honneur d’un militaire, au nom de la courtoisie d’un gentilhomme, éloignez-vous ; tenez, voilà minuit qui sonne, c’est l’heure où l’on m’attend.

— Madame, dit le jeune homme en s’inclinant, je ne sais rien refuser à qui me demande ainsi ; soyez contente, je m’éloigne.

— Mais vous ne me suivrez pas, vous ne m’épierez pas ?

— Je rentre chez moi à l’instant.

— Ah ! je le savais bien, que vous étiez un brave jeune homme ! s’écria Mme  Bonacieux en lui tendant une main et en posant l’autre sur le marteau d’une petite porte presque perdue dans la muraille.

D’Artagnan saisit la main qu’on lui tendait et la baisa ardemment.

— Ah ! j’aimerais mieux ne vous avoir jamais vue, s’écria d’Artagnan avec cette brutalité naïve que les femmes préfèrent souvent aux afféteries de la politesse, parce qu’elle découvre le fond de la pensée et qu’elle prouve que le sentiment l’emporte sur la raison.

— Eh bien ! reprit Mme  Bonacieux d’une voix presque caressante et en serrant la main de d’Artagnan, qui n’avait pas abandonné la sienne ; eh bien ! je n’en dirai pas autant que vous : ce qui est perdu pour aujourd’hui n’est pas perdu pour l’avenir. Qui sait si, lorsque je serai déliée un jour, je ne satisferai pas votre curiosité ?

— Et faites-vous la même promesse à mon amour ? s’écria d’Artagnan au comble de la joie.

— Oh ! de ce côté, je ne veux point m’engager, cela dépendra des sentiments que vous saurez m’inspirer.

— Ainsi aujourd’hui, madame…

— Aujourd’hui, monsieur, je n’en suis encore qu’à la reconnaissance.

— Ah ! vous êtes trop charmante, dit d’Artagnan avec tristesse, et vous abusez de mon amour.

— Non, j’use de votre générosité, voilà tout. Mais, croyez-le bien, avec certaines gens tout se retrouve.

— Oh ! vous me rendez le plus heureux des hommes. N’oubliez pas cette soirée, n’oubliez pas cette promesse !

— Soyez tranquille, en temps et lieu je me souviendrai de tout. Eh bien, partez donc, partez, au nom du ciel ! On m’attendait à minuit juste, et je suis en retard.

— De cinq minutes.

— Oui, mais dans certaines circonstances, cinq minutes sont cinq siècles.

— Quand on aime.

— Eh bien, qui vous dit que je n’ai pas affaire à un amoureux ?

— C’est un homme qui vous attend, s’écria d’Artagnan, — un homme !

— Allons, voilà la discussion qui va recommencer, fit Mme  Bonacieux avec un demi-sourire qui n’était pas exempt d’une certaine teinte d’impatience.