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succédèrent aux difficultés : deux ou trois chevaux perdirent pied dans les interstices de ces pierres, ou, glissant sur les pierres fangeuses, roulèrent avec leurs cavaliers dans l’eau encore rapide de la rivière. Plus d’une fois aussi, de quelque bateau amarré à l’autre bord, partirent des coups de feu qui blessèrent deux valets d’armée et un gendarme. Un des deux valets avait été blessé aux côtés de Diane ; elle avait manifesté des regrets pour cet homme, mais aucune crainte pour elle. Henri, dans ces différentes circonstances, se montra pour ses hommes un digne capitaine et un véritable ami ; il marchait le premier, forçant toute la troupe à suivre sa trace, et se fiant moins encore à sa propre sagacité qu’à l’instinct du cheval que lui avait donné son frère ; si bien que de cette façon il conduisait tout le monde au salut, en risquant seul la mort.

À trois lieues de Rupelmonde, les gendarmes rencontrèrent une demi-douzaine de soldats français accroupis devant un feu de tourbe : les malheureux faisaient cuire un quartier de chair de cheval, seule nourriture qu’ils eussent rencontrée depuis deux jours.

L’approche des gendarmes causa un grand trouble parmi les convives de ce triste festin : deux ou trois se levèrent pour fuir, mais l’un d’eux resta assis et les retint en disant :

— Eh bien ! s’ils sont ennemis, ils nous tueront, et au moins la chose sera finie tout de suite.

— France ! France ! cria Henri, qui avait entendu ces paroles ; venez à nous, pauvres gens.

Ces malheureux, en reconnaissant des compatriotes, accoururent à eux ; on leur donna des manteaux, un coup de genièvre ; on y ajouta la permission de monter en croupe derrière les valets. Ils suivirent ainsi le détachement.

Une demi-lieue plus loin, on trouva quatre chevau-légers avec un cheval pour quatre ; ils furent recueillis également.

Enfin, on arriva sur les bords de l’Escaut : la nuit était