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Henri s’apprêtait à partir sur ces paroles.

— Attends donc, lui dit Joyeuse, tu oublies le principal : mes hommes ont pris trois paysans, je t’en donne un pour vous servir de guide. Pas de fausse pitié : à la première apparence de trahison, un coup de pistolet ou de poignard.

Ce dernier point réglé, il embrassa tendrement son frère, et donna l’ordre du départ.

Les cent hommes tirés au sort par l’enseigne, du Bouchage en tête, se mirent en route à l’instant même.

Henri plaça le guide entre deux gendarmes tenant constamment le pistolet au poing. Remy et sa compagne étaient mêlés aux gens de la suite. Henri n’avait fait aucune recommandation à leur égard, pensant que la curiosité était déjà bien assez excitée à leur endroit, sans l’augmenter encore par des précautions plus dangereuses que salutaires.

Lui-même, sans avoir fatigué ou importuné ses hôtes par un seul regard, après être sorti du bourg, revint prendre sa place aux flancs de la compagnie.

Cette marche de la troupe était lente, le chemin parfois manquait tout à coup sous les pieds des chevaux, et le détachement tout entier se trouvait embourbé. Tant que l’on n’eut point trouvé la chaussée que l’on cherchait, on dut se résigner à marcher comme avec des entraves.

Quelquefois des spectres, fuyant au bruit des chevaux, sillonnaient la plaine ; c’étaient des paysans un peu trop prompts à revenir dans leurs terres, et qui redoutaient de tomber aux mains de ces ennemis qu’ils avaient voulu anéantir. Parfois aussi, ce n’étaient que de malheureux Français à moitié morts de froid et de faim, incapables de lutter contre des gens armés, et qui, dans l’incertitude où ils étaient de tomber sur des amis ou des ennemis, préféraient attendre le jour pour reprendre leur pénible route.

On fit deux lieues en trois heures ; ces deux lieues avaient conduit l’aventureuse patrouille sur les bords du Rupel, que bordait une chaussée de pierre ; mais alors les dangers