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— Oh ! je ne calomnie pas la vertu, Henri ; j’accuse le vice, et voilà tout. Je le répète donc, cette femme est une misérable femme, et sa possession, si désirable qu’elle soit, ne vaudra jamais les tourments qu’elle te fait souffrir. Eh ! mon Dieu, c’est dans un pareil cas qu’on doit user de ses forces et de sa puissance, car on se défend légitimement, bien loin d’attaquer. Par le diable ! Henri, je sais bien qu’à votre place, moi, je serais allé prendre d’assaut la maison de cette femme ; je l’aurais prise elle-même comme j’aurais pris sa maison, et ensuite, lorsque, selon l’habitude de toute créature domptée, qui devient aussi humble devant son vainqueur qu’elle était féroce avant la lutte, lorsqu’elle serait venue jeter ses bras autour de votre cou en vous disant : Henri, je t’adore ! alors je l’eusse repoussée en répondant : Vous faites bien, Madame, c’est à votre tour, et j’ai assez souffert pour que vous souffriez aussi.

Henri saisit la main de son frère.

— Vous ne pensez pas un mot de ce que vous avancez là, Joyeuse, lui dit-il.

— Si, par ma foi.

— Vous si bon, si généreux !

— Générosité avec les gens sans cœur, c’est duperie, frère.

— Oh ! Joyeuse, Joyeuse, vous ne connaissez point cette femme.

— Mille démons ! je ne veux pas la connaître.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’elle me ferait commettre ce que d’autres nommeraient un crime, et que je nommerais, moi, un acte de justice.

— Oh ! mon bon frère, dit le jeune homme avec un angélique sourire, que vous êtes heureux de ne pas aimer ! Mais, s’il vous plaît, monseigneur l’amiral, laissons là mon fol amour, et causons des choses de la guerre.

— Soit ! aussi bien, en parlant de ta folie, tu me rendrais fou.

— Vous voyez que nous manquons de vivres.