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sonnantes, dans le bourg, fit loger ses troupes, donna des consignes sévères pour que tout désordre fût évité.

Puis il fit faire une distribution d’orge aux hommes, d’avoine aux chevaux, et d’eau à tout le monde, distribua aux blessés quelques tonneaux de bière et de vin que l’on trouva dans les caves, et lui-même, à la vue de tous, dîna d’un morceau de pain noir et d’un verre d’eau, tout en parcourant les postes. Partout il fut accueilli comme un sauveur, par des cris d’amour et de reconnaissance.

— Allons, allons, dit-il au retour, en se retrouvant seul avec son frère, viennent les Flamands, et je les battrai ; et même, vrai Dieu ! si cela continue, je les mangerai, car j’ai grand’faim, et, ajouta-t-il tout bas à Henri en jetant dans un coin son pain, dans lequel il avait paru mordre avec tant d’enthousiasme, voilà une exécrable nourriture.

Puis, lui jetant les bras autour du cou :

— Çà, maintenant, ami, causons, et dis-moi comment tu te trouves en Flandre quand je te croyais à Paris ?

— Mon frère, dit Henri à l’amiral, la vie m’était devenue insupportable à Paris, et je suis parti pour vous retrouver en Flandre.

— Toujours par amour ? demanda Joyeuse.

— Non, par désespoir. Maintenant, je vous le jure, Anne je ne suis plus amoureux ; ma passion, c’est la tristesse.

— Mon frère, mon frère, s’écria Joyeuse, permettez-moi de vous dire que vous êtes tombé sur une misérable femme.

— Comment cela ?

— Oui, Henri, il arrive qu’à un certain degré de méchanceté ou de vertu, les êtres créés dépassent la volonté du Créateur et se font bourreaux et homicides, ce que l’Église réprouve également ; ainsi, par trop de vertu, ne pas tenir compte des souffrances d’autrui, c’est de l’exaltation barbare, c’est une absence de charité chrétienne.

— Oh ! mon frère, mon frère, s’écria Henri, ne calomniez point la vertu !