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et semblaient vouloir arrêter le cavalier imprudent par leurs supplications.

Les deux députés de ces deux tronçons du grand corps français poursuivirent courageusement leur chemin, et bientôt ils s’aperçurent que leur tâche était moins difficile qu’ils ne l’eussent pu craindre, et surtout qu’on ne le craignait pour eux.

Un large filet d’eau, qui s’échappait d’un aqueduc crevé par le choc d’une poutre, sortait de dessous la fange et lavait comme à dessein la chaussée bourbeuse, découvrant sous son flot plus limpide le fond du fossé que cherchait l’ongle actif des chevaux. Déjà les cavaliers n’étaient plus qu’à deux cents pas l’un de l’autre.

— France ! cria le cavalier qui venait de la colline. Et il leva son toquet, ombragé d’une plume blanche.

— Oh ! c’est vous ! s’écria Henri avec une grande exclamation de joie, vous, Monseigneur ?

— Toi, Henri ! toi, mon frère ? s’écria l’autre cavalier.

Et au risque de dévier à droite ou à gauche, les deux chevaux partirent au galop, se dirigeant l’un vers l’autre ; et bientôt, aux acclamations frénétiques des spectateurs de la chaussée et de la colline, les deux cavaliers s’embrassèrent longuement et tendrement.

Aussitôt, le bourg et la colline se dégarnirent : gendarmes et chevau-légers, gentilshommes huguenots et catholiques se précipitèrent dans le chemin ouvert par les deux frères.

Bientôt les deux camps s’étaient joints, les bras s’étaient ouverts, et sur le chemin où tous avaient cru trouver la mort, on voyait trois mille Français crier merci au ciel et vive la France !

— Messieurs, dit tout à coup la voix d’un officier huguenot, c’est vive M. l’amiral ! qu’il faut crier, car c’est à M. le duc de Joyeuse et non à un autre que nous devons la vie cette nuit, et ce matin le bonheur d’embrasser nos compatriotes.

Une immense acclamation accueillit ces paroles.