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— Grand Dieu ! s’écria Henri.

— Grand Dieu ! murmura Remy, qui, à ces mots du comte : « Et le duc ? » s’étant levé, venait d’entendre ce récit, et dont les yeux se reportèrent vivement sur sa pâle compagne.

— Après ? demanda le comte.

— Oui, après ? balbutia Remy.

— Eh bien ! dans le remous que formait l’eau à l’angle de cette digue, un de mes hommes s’aventura pour saisir les rênes flottantes du cheval ; il l’atteignit, souleva l’animal expiré. Nous vîmes alors apparaître la botte blanche et l’éperon d’or que portait le duc. Mais, au même instant, l’eau s’enfla comme si elle se fût indignée de se voir arracher sa proie. Mon gendarme lâcha prise pour n’être point entraîné, et tout disparût. Nous n’aurons pas même la consolation de donner une sépulture chrétienne à notre prince.

— Mort ! mort ! lui aussi, l’héritier de la couronne, quel désastre !

Remy se retourna vers sa compagne, et avec une expression impossible à rendre :

— Il est mort, Madame ! dit-il ; vous voyez.

— Soit loué le Seigneur qui m’épargne un crime ! répondit-elle, en levant en signe de reconnaissance les mains et les yeux au ciel.

— Oui, mais il nous enlève la vengeance, répondit Remy.

— Dieu a toujours le droit de se souvenir. La vengeance n’appartient à l’homme que lorsque Dieu oublie.

Le comte voyait avec une espèce d’effroi cette exaltation des deux étranges personnages qu’il avait sauvés de la mort ; il les observait de loin de l’œil et cherchait inutilement, pour se faire une idée de leurs désirs ou de leurs craintes, à commenter leurs gestes et l’expression de leurs physionomies.

La voix de l’enseigne le tira de sa contemplation.

— Mais vous-même, comte, demanda celui-ci, qu’allez-vous faire ?