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eaux furieuses ; mais le bonheur voulut qu’ils rencontrassent sur leur chemin le bourg dont nous avons parlé, position forte à la fois contre les hommes et contre les éléments.

Les habitants, sachant qu’ils étaient en sûreté, n’avaient pas quitté leurs maisons, à part les femmes, les vieillards et les enfants, qu’ils avaient envoyés à la ville ; aussi les gendarmes d’Aunis, en arrivant, trouvèrent-ils de la résistance ; mais la mort hurlait derrière eux : ils attaquèrent en hommes désespérés, triomphèrent de tous les obstacles, perdirent dix hommes à l’attaque de la chaussée, mais se logèrent et firent décamper les Flamands.

Une heure après, le bourg était entièrement cerné par les eaux, excepté du côté de cette chaussée par laquelle nous avons vu aborder Henri et ses compagnons. Tel fut le récit que firent à du Bouchage les gendarmes d’Aunis.

— Et le reste de l’armée ? demanda Henri.

— Regardez, répondit l’enseigne, à chaque instant passent des cadavres qui répondent à votre question.

— Mais… mais mon frère ? hasarda du Bouchage d’une voix étranglée.

— Hélas ! monsieur le comte, nous ne pouvons vous en donner des nouvelles certaines ; il s’est battu comme un lion ; trois fois nous l’avons tiré du feu. Il est certain qu’il avait survécu à la bataille, mais à l’inondation nous ne pouvons le dire.

Henri baissa la tête, et s’abîma dans d’amères réflexions ; puis tout à coup :

— Et le duc ? demanda-t-il.

L’enseigne se pencha vers Henri, et à voix basse :

— Comte, dit-il, le duc s’était sauvé des premiers. Il était monté sur un cheval blanc sans aucune tache qu’une étoile noire au front. Eh bien, tout à l’heure, nous avons vu passer le cheval au milieu d’un amas de débris ; la jambe d’un cavalier était prise dans l’étrier et surnageait à la hauteur de la selle.