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elle étendit la main, et, se levant seule, elle sauta à terre.

Henri poussa un soupir ; un instant il eut l’idée de se rejeter dans l’abîme et de mourir à ses yeux ; mais un irrésistible sentiment l’enchaînait à la vie tant qu’il voyait cette femme, dont il avait si longtemps désiré la présence sans l’obtenir jamais.

Il tira la barque à terre et alla s’asseoir à dix pas de la dame et de Remy, livide, dégouttant d’une eau qui s’échappait de ses habits, plus douloureuse que le sang.

Ils étaient sauvés du danger le plus pressant, c’est-à-dire de l’eau ; l’inondation, si forte qu’elle fût, ne monterait jamais à la hauteur de la colline.

Au-dessous d’eux, dès lors, ils pouvaient contempler cette grande colère des flots, qui n’a de colère au-dessus d’elle que celle de Dieu. Henri regardait passer cette eau rapide, grondante, qui charriait des amas de cadavres français, près d’eux, leurs chevaux et leurs armes.

Remy ressentait une vive douleur à l’épaule, un madrier flottant l’avait atteint au moment où son cheval s’était dérobé sous lui.

Quant à sa compagne, à part le froid qu’elle éprouvait, elle n’avait aucune blessure ; Henri l’avait garantie de tout ce dont il était en son pouvoir de la garantir.

Henri fut bien surpris de voir que ces deux êtres si miraculeusement échappés à la mort ne remerciaient que lui, et n’avaient pas eu pour Dieu, premier auteur de leur salut, une seule action de grâces.

La jeune femme fut debout la première ; elle remarqua qu’au fond de l’horizon, du côté de l’occident, on apercevait quelque chose comme des feux à travers la brume.

Il va sans dire que ces feux brûlaient sur un point élevé que l’inondation n’avait pu atteindre.

Autant qu’on pouvait en juger au milieu de ce froid crépuscule qui succédait à la nuit, ces feux étaient distants d’une lieue environ.