Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.

étranges et si lugubres, que le frisson qui agitait Henri passa jusqu’à l’impassible, l’indomptable cœur de l’inconnue.

Elle aiguillonna son cheval, et son cheval, comme s’il eût senti lui-même l’imminence du danger, redoubla d’efforts pour s’y soustraire.

Mais l’eau gagnait, gagnait toujours, et, avant dix minutes, il était évident qu’elle aurait rejoint les voyageurs.

À chaque instant Henri s’arrêtait pour attendre ses compagnons, et alors il leur criait :

— Plus vite, Madame ! par grâce, plus vite ! l’eau s’avance, l’eau accourt ! la voici !

Elle arrivait, en effet, écumeuse, tourbillonnante, irritée ; elle emporta comme une plume la maison dans laquelle Remy avait abrité sa maîtresse ; elle souleva comme une paille la barque attachée aux rives du ruisseau, et, majestueuse, immense, roulant ses anneaux comme ceux d’un serpent, elle arriva, pareille à un mur, derrière les chevaux de Remy et de l’inconnue.

Henri jeta un cri d’épouvante et revint sur l’eau, comme s’il eût voulu la combattre.

— Mais vous voyez bien que vous êtes perdue ! hurla-t-il, désespéré. Allons, Madame, il est encore temps peut-être, descendez, venez avec moi, venez !

— Non, Monsieur, dit-elle.

— Mais dans une minute il sera trop tard ; regardez, regardez donc !

La dame détourna la tête ; l’eau était à cinquante pas à peine.

— Que mon sort s’accomplisse ! dit-elle ; vous, Monsieur, fuyez ! fuyez !

Le cheval de Remy, épuisé, butta des deux jambes de devant et ne put se relever, malgré les efforts de son cavalier.

— Sauvez-la ! sauvez-la ! fût-ce malgré elle, s’écria Remy.

Et en même temps, comme il se dégageait des étriers, l’eau