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Mais, en fusant, il passa à la portée de la main de son maître, qui le saisit par la bride comme il passait, et l’arrêta.

Henri, sans rassembler les rênes, l’empoigna par la crinière et sauta en selle. Une fois là, comme il était bon cavalier, il se fit maître de l’animal et le contint.

Mais, au bout d’un instant, ce que le cheval avait entendu, Henri commença de l’entendre lui-même, et cette terreur qu’avait ressentie la brute grossière, l’homme fut étonné de la ressentir à son tour.

Un long murmure, pareil à celui du vent strident et grave à la fois, s’élevait des différents points d’un demi-cercle qui semblait s’étendre du sud au nord ; des bouffées d’une brise fraîche et comme chargée de particules d’eau éclaircissaient par intervalles ce murmure, qui alors devenait semblable au fracas des marées montantes sur les grèves caillouteuses.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Henri ; serait-ce le vent ? non, puisque c’est le vent qui m’apporte ce bruit, et que les deux sons m’apparaissent distincts. Une armée en marche, peut-être ? mais non (il pencha son oreille vers la terre), j’entendrais la cadence des pas, le froissement des armures, l’éclat des voix. Est-ce le crépitement d’un incendie ? non encore, car on n’aperçoit aucune lueur à l’horizon, et le ciel semble même se rembrunir.

Le bruit redoubla et devint distinct : c’était le roulement incessant, ample, grondant, que produiraient des milliers de canons traînés au loin sur un pavé sonore.

Henri crut un instant avoir trouvé la raison de ce bruit en l’attribuant à la cause que nous avons dite, mais aussitôt :

— Impossible, dit-il, il n’y a point de chaussée pavée de ce côté, il n’y a pas mille canons dans l’armée.

Le bruit approchait toujours.

Henri mit son cheval au galop et gagna une éminence.

— Que vois-je ! s’écria-t-il en atteignant le sommet.