Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le troupeau et son berger, nulle part la charrue et son travailleur, plus de marchand forain passant d’un pays à un autre sa balle sur le dos, plus de charretier chantant le chant rauque de l’homme du Nord, et qui se balance en marchant près de sa lourde charrette, un fouet bruyant à la main.

Aussi loin que s’étendait la vue dans ces plaines magnifiques, sur les petits coteaux, dans les grandes herbes, à la lisière des bois, pas une figure humaine, pas une voix.

On eût dit la nature la veille du jour où l’homme et les animaux furent créés.

Le soir venait, Henri, saisi de surprise et rapproché par le sentiment des voyageurs qui le précédaient, Henri demandait à l’air, aux arbres, aux horizons lointains, aux nuages même, l’explication de ce phénomène sinistre.

Les seuls personnages qui animassent cette morne solitude, c’étaient, se détachant sur la teinte pourprée du soleil couchant, Remy et sa compagne, penchés pour écouter si quelque bruit ne viendrait pas jusqu’à eux ; puis, en arrière, à cent pas d’eux, la figure de Henri, conservant sans cesse la même distance et la même attitude.

La nuit descendit sombre et froide, le vent du nord-ouest siffla dans l’air, et emplit ces solitudes de son bruit plus menaçant que le silence.

Remy arrêta sa compagne, en posant la main sur les rênes de son cheval.

— Madame, lui dit-il, vous savez si je suis inaccessible à la crainte, vous savez si je ferais un pas en arrière pour sauver ma vie ; eh bien, ce soir, quelque chose d’étrange se passe en moi, une torpeur inconnue enchaîne mes facultés, me paralyse, et me défend d’aller plus loin. Madame, appelez cela terreur, timidité, panique même ; Madame, je vous le confesse : pour la première fois de ma vie… j’ai peur.

La dame se retourna ; peut-être tous ces présages mena-