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maîtresse, et pourquoi il se trouvait seul sur la même route que lui.

Nous disons seul, parce que Henri n’avait d’abord prêté aucune attention au second cavalier.

Sa pensée roulait d’abîme en abîme.

Le lendemain, à l’heure de l’ouverture des portes, lorsqu’il crut pouvoir se trouver face à face avec les deux voyageurs, il fut bien surpris d’apprendre que, dans la nuit, ces deux inconnus avaient obtenu du gouverneur la permission de sortir, et que, contre toutes les habitudes, on avait ouvert les portes pour eux.

De cette façon, et comme ils étaient partis vers une heure du matin, ils avaient six heures d’avance sur Henri.

Il fallait rattraper ces six heures. Henri mit son cheval au galop et rejoignit à Mons les voyageurs, qu’il dépassa.

Il vit encore Remy, mais, cette fois, il eût fallu que Remy fût sorcier pour le reconnaître. Henri s’était affublé d’une casaque de soldat et avait acheté un autre cheval.

Toutefois, l’œil défiant du bon serviteur déjoua presque cette combinaison, et, à tout hasard, le compagnon de Remy, prévenu par un seul mot, eut le temps de détourner son visage que Henri, cette fois encore, ne put apercevoir.

Mais le jeune homme ne perdit point courage ; il questionna dans la première hôtellerie qui donna asile aux voyageurs, et comme il accompagnait ses questions d’un irrésistible auxiliaire, il finit par apprendre que le compagnon de Remy était un jeune homme fort beau, mais fort triste, sobre, résigné, et ne parlant jamais de fatigue.

Henri tressaillit, un éclair illumina sa pensée.

— Ne serait-ce point une femme ? demanda-t-il.

— C’est possible, répondit l’hôte ; aujourd’hui beaucoup de femmes passent ainsi déguisées pour aller rejoindre leurs amants à l’armée de Flandre, et comme notre état à nous autres aubergistes est de ne rien voir, nous ne voyons rien.