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le travail de ceux d’aujourd’hui, sans se douter qu’il touchassent à la spécialité de la grande propagande commerciale.

Quiconque les eût vus trotter si paisiblement sur la route, éclairée par la lune, les eût pris pour de bonnes gens pressés de trouver un lit après une journée convenablement faite.

Cependant il n’eût fallu qu’entendre quelques phrases détachées de leur conversation par le vent, quand il y avait conversation, pour ne pas conserver d’eux cette opinion erronée que leur donnait la première apparence.

Et d’abord, le plus étrange des mots échangés entre eux fut le premier mot qu’ils échangèrent, quand ils furent arrivés à une demi-lieue de Bruxelles à peu près.

— Madame, dit le plus gros au plus svelte des deux compagnons, vous avez en vérité eu raison de partir cette nuit ; nous gagnons sept lieues en faisant cette marche, et nous arrivons à Malines au moment où, selon toute probabilité, le résultat du coup de main sur Anvers sera connu. On sera là-bas dans toute l’ivresse du triomphe. En deux jours de très-petites marches, et pour vous reposer vous avez besoin de courtes étapes, en deux jours de petites marches, nous gagnons Anvers, et cela justement à l’heure probable où le prince sera revenu de sa joie et daignera regarder à terre, après s’être élevé jusqu’au septième ciel.

Le compagnon qu’on appelait Madame, et qui ne se révoltait aucunement de cette appellation, malgré ses habits d’homme, répondit d’une voix calme, grave et douce à la fois :

— Mon ami, croyez-moi, Dieu se lassera de protéger ce misérable prince, et il le frappera cruellement ; hâtons-nous donc de mettre à exécution nos projets, car je ne suis pas de ceux qui croient à la fatalité, moi, et je pense que les hommes ont le libre arbitre de leurs volontés et de leurs faits. Si nous n’agissons pas et que nous laissions agir Dieu