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que n’avaient pu ébranler mille épées levées contre lui ; il tourna bride, et, vainqueur, s’enfuit presque aussi rapidement que les vaincus.

Mais cette retraite d’un seul homme ne changea rien à la face des choses : la peur est contagieuse, elle avait gagné l’armée tout entière, et, sous le poids de cette panique insensée, les soldats commencèrent à fuir en désespérés.

Les chevaux s’animaient malgré la fatigue, car eux-mêmes semblaient être aussi sous l’influence de la peur ; les hommes se dispersaient pour trouver des abris : en quelques heures l’armée n’exista plus à l’état d’armée.

C’était le moment où, selon les ordres de Monseigneur, s’ouvraient les digues et se levaient les écluses. Depuis Lier jusqu’à Termonde, depuis Haesdonk jusqu’à Malines, chaque petite rivière grossie par ses affluents, chaque canal débordé, envoyait dans le plat pays son contingent d’eau furieuse.

Ainsi, quand les Français fugitifs commencèrent à s’arrêter, ayant lassé leurs ennemis, quand ils eurent vu les Anversois retourner enfin vers leur ville suivis des soldats du prince d’Orange ; quand ceux qui avaient échappé sains et saufs du carnage de la nuit crurent enfin être sauvés, et respirèrent un instant, les uns avec une prière, les autres avec un blasphème, c’était à cette heure même qu’un nouvel ennemi, aveugle, impitoyable, se déchaînait sur eux avec la célérité du vent, avec l’impétuosité de la mer ; toutefois, malgré l’imminence du danger qui commençait à les envelopper, les fugitifs ne se doutaient de rien.

Joyeuse avait commandé une halte à ses marins, réduits à huit cents, et les seuls qui eussent conservé une espèce d’ordre dans cette effroyable déroute.

Le comte de Saint-Aignan, haletant, sans voix, ne parlant plus que par la menace de ses gestes, le comte de Saint-Aignan essayait de rallier ses fantassins épars.

Le duc d’Anjou, à la tête des fuyards, monté sur un excel-