Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.

prélat, auquel une indisposition grave ou une pénitence austère servait de prétexte pour ne pas recevoir. C’était encore de l’Italie au sein de la bonne ville du roi de France, c’était Venise entre les deux bras de la Seine.

François était fier, mais nullement vain ; il aimait ses amis comme des frères, et ses frères presque autant que ses amis. Plus âgé de cinq ans que du Bouchage, il ne lui épargnait ni les bons ni les mauvais conseils, ni la bourse ni le sourire.

Mais comme il portait merveilleusement bien l’habit de cardinal, du Bouchage le trouvait beau, noble, presque effrayant, en sorte qu’il le respectait plus peut-être qu’il ne respectait leur aîné à tous deux. Henri, sous sa belle cuirasse et ses chamarrures de militaire fleuri, confiait en tremblant ses amours à Anne, il n’eût pas même osé se confesser à François.

Cependant, lorsqu’il se dirigea vers l’hôtel du cardinal, sa résolution était prise ; il abordait franchement le confesseur d’abord, l’ami ensuite.

Il entra dans la cour d’où sortaient à l’instant même plusieurs gentilshommes fatigués d’avoir sollicité, sans l’avoir obtenue, la faveur d’une audience.

Il traversa les antichambres, les salles, puis les appartements. On lui avait dit, à lui comme aux autres, que son frère était en conférence ; mais il ne serait venu à aucun domestique l’idée de fermer une porte devant du Bouchage.

Du Bouchage traversa donc tous les appartements et parvint jusqu’au jardin, véritable jardin de prélat romain, avec de l’ombre, de la fraîcheur et des parfums, comme on en trouve aujourd’hui à la villa Pamphile ou au palais Borghèse.

Henri s’arrêta sous un massif : en ce moment la grille du bord de l’eau roula sur ses gonds, et un homme entra caché dans un large manteau brun et suivi d’une sorte de page. Cet homme aperçut Henri, qui était trop absorbé dans son