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Chicot arrangea la plume, l’encre et le papier devant lui, s’assit à la table, et tendit le dos à Bonhomet avec un flegme stoïque.

Bonhomet comprit la pantomime et commença ses frictions.

Cependant, comme si, au lieu d’irriter une douloureuse blessure, on l’eût voluptueusement chatouillée, Chicot, pendant ce temps, copiait la lettre du duc de Guise à sa sœur, et faisait ses commentaires à chaque mot.

Cette lettre était ainsi conçue :

« Chère sœur, l’expédition d’Anvers a réussi pour tout le monde, mais a manqué pour nous ; on vous dira que le duc d’Anjou est mort ; n’en croyez rien, il vit.

« Il vit, entendez-vous ? là est toute la question.

« Il y a toute une dynastie dans ces mots ; ces deux mots séparent la maison de Lorraine du trône de France mieux que ne le ferait le plus profond abîme.

« Cependant ne vous inquiétez pas trop de cela. J’ai découvert que deux personnes, que je croyais trépassées, existent encore, et il y a une grande chance de mort pour le prince dans la vie de ces deux personnes.

« Pensez donc à Paris seulement ; dans six semaines il sera temps que la Ligue agisse ; que nos ligueurs sachent donc que le moment approche et se tiennent prêts.

« L’armée est sur pied ; nous comptons sur douze mille hommes sûrs et bien équipés ; j’entrerai avec elle en France, sous prétexte de combattre les huguenots allemands qui vont porter secours à Henri de Navarre ; je battrai les huguenots, et, entré en France en ami, j’agirai en maître. »

— Eh ! eh ! fit Chicot.

— Je vous fais mal, cher Monsieur ? dit Bonhomet, suspendant les frictions.