Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! vous savez que j’ai une lettre pour la duchesse ? demanda le capitaine d’une voix étranglée.

— Je sais cela, roucoula Chicot, parfaitement.

— Et si vous pouviez vous tenir sur vos jambes, vous iriez au Louvre ?

— J’irais au Louvre.

— Et vous me dénonceriez ?

— Et je vous dénoncerais.

— De sorte que ce n’est pas une plaisanterie ?

— Quoi ?

— Qu’aussitôt votre somme achevé…

— Eh bien ?

— Le roi saura tout ?

— Mais, mon cher ami, reprit Chicot en soulevant sa tête et en regardant Borromée d’un air languissant, comprenez donc : vous êtes conspirateur, je suis espion ; j’ai tant par complot que je dénonce ; vous tramez un complot, je vous dénonce. Nous faisons chacun notre métier, et voilà. Bonsoir, capitaine.

Et en disant ces mots, non-seulement Chicot avait repris sa première position, mais encore il s’était arrangé sur son siège et sur la table de telle façon, que le devant de sa tête étant enseveli dans ses mains et le derrière abrité par son casque, il ne présentait de surface que le dos.

Mais aussi, ce dos, dépouillé de sa cuirasse placée sur une chaise, s’était complaisamment arrondi.

— Ah ! dit Borromée, en fixant sur son compagnon un œil de flamme, ah ! tu veux me dénoncer, cher ami !

— Aussitôt que je serai réveillé, cher ami, c’est convenu, fit Chicot.

— Mais il faut savoir si tu te réveilleras ! s’écria Borromée.

Et, en même temps, il appliqua un furieux coup de dague sur le dos de son compagnon de bouteille, croyant le percer d’outre en outre et le clouer à la table.