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compagnons, en buveurs expérimentés, demandèrent quelques salaisons, dans le but louable de ne pas laisser éteindre la soif. Ces salaisons leur furent apportées par Bonhomet, auquel chacun d’eux jeta un dernier coup d’œil.

Bonhomet répondit à chacun d’eux ; mais si quelqu’un eût pu juger ces deux coups d’œil, il eût trouvé une grande différence entre celui qui était adressé à Borromée et celui qui était adressé à Chicot.

Bonhomet sortit, et les deux compagnons commencèrent à boire.

D’abord, comme si l’occupation était trop importante pour que rien dût l’interrompre, les deux buveurs avalèrent bon nombre de rasades sans échanger une seule parole.

Chicot surtout était merveilleux ; sans avoir dit autre chose que :

— Par ma foi, voilà du joli bourgogne !

Et :

— Sur mon âme, voilà d’excellent jambon !

Il avait avalé deux bouteilles, c’est-à-dire une bouteille par phrase.

— Pardieu ! murmurait à part lui Borromée, voilà une singulière chance que j’ai eue de tomber sur un pareil ivrogne.

À la troisième bouteille. Chicot leva les yeux au ciel.

— En vérité, dit-il, nous buvons d’un train à nous enivrer.

— Bon ! ce saucisson est si salé ! dit Borromée.

— Ah ! cela vous va, dit Chicot ; continuons, l’ami, j’ai la tête solide.

Et chacun d’eux avala encore sa bouteille.

Le vin produisait sur les deux compagnons un effet tout opposé : il déliait la langue de Chicot et nouait celle de Borromée.

— Ah ! murmura Chicot, tu te tais, l’ami ; tu doutes de toi.