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tu es l’habitué ; tu me pousses dans un réduit où tu crois que je ne pourrai pas être vu, et d’où tu penses que je ne pourrai pas voir, et dans ce réduit il y a un trou, grâce auquel tu ne feras pas un geste que je ne le voie. Allons, allons, mon capitaine, tu n’es pas fort !

Et Chicot, tout en prononçant ces paroles avec un air de mépris qui n’appartenait qu’à lui, appliqua son œil à la cloison, forée artistement dans un défaut du bois.

Par ce trou, il aperçut Borromée appuyant d’abord précautionnellement son doigt sur ses lèvres, et causant ensuite avec Bonhomet, qui acquiesçait à ses désirs par un signe de tête olympien.

Au mouvement des lèvres du capitaine, Chicot, fort expert en pareille matière, devina que la phrase prononcée par lui voulait dire :

— Servez-nous dans ce réduit, et quelque bruit que vous y entendiez, n’y pénétrez pas.

Après quoi Borromée prit une veilleuse qui brûlait éternellement sur un bahut, souleva une trappe, et descendit lui-même à la cave, profitant du privilège le plus précieux accordé aux habitués de l’établissement.

Aussitôt Chicot frappa à la cloison d’une façon particulière.

En entendant cette façon de frapper, qui devait lui rappeler quelque souvenir profondément enraciné dans son cœur, Bonhomet tressaillit, regarda en l’air et écouta.

Chicot frappa une seconde fois, et en homme qui s’étonne que l’on n’ait pas obéi à un premier appel.

Bonhomet se précipita vers le réduit et trouva Chicot debout et le visage menaçant.

À cette vue, Bonhomet poussa un cri ; il croyait Chicot mort, comme tout le monde, et pensait se trouver en face de son fantôme.

— Qu’est-ce à dire, mon maître, dit Chicot, et depuis quand habituez-vous les gens de ma trempe à appeler deux fois ?