Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/176

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Au reste, on savait si bon et si pur le vin que chacun avait le droit d’aller chercher lui-même à la cave ; on connaissait si bien sa longanimité à l’égard de certaines pratiques créditées à son comptoir, que personne ne murmurait de ses humeurs fantasques.

Ces humeurs, quelques vieux habitués les attribuaient à un fond de chagrin que maître Bonhomet aurait eu dans son ménage.

Telles furent, du moins, les explications que Borromée crut devoir donner à Chicot sur le caractère de l’hôte dont ils allaient apprécier ensemble l’hospitalité.

Cette misanthropie de Bonhomet avait eu un fâcheux résultat pour la décoration et le confortable de l’hôtellerie. En effet, le cabaretier se trouvant, c’était son idée du moins, fort au-dessus de ses pratiques, ne donna aucun soin à l’embellissement du cabaret ; il en résulta que Chicot, en entrant dans la salle, se reconnut tout d’abord : rien n’était changé, sinon la teinte fuligineuse du plafond, qui, du gris, était passée au noir.

En ces temps bienheureux les auberges n’avaient point encore contracté l’odeur si âcre et si fade du tabac brûlé, dont s’imprègnent aujourd’hui les boiseries et les tentures des salles, odeur qu’absorbe et qu’exhale tout ce qui est poreux et spongieux.

Il résultait de là que, malgré sa crasse vénérable et sa tristesse apparente, la salle de la Corne d’Abondance ne contrariait point, par des exhalaisons exotiques, les miasmes vineux profondément engagés dans chaque atome de l’établissement ; en sorte que, permis soit-il de le dire, un vrai buveur trouvait plaisir dans ce temple du dieu Bacchus, car il respirait l’arôme et l’encens le plus cher à ce dieu.

Chicot passa derrière Borromée, comme nous l’avons dit, et ne fut aucunement vu, ou plutôt aucunement reconnu de l’hôte de la Corne d’Abondance.

Il connaissait le coin le plus obscur de la salle commune,