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présence du capitaine ; il y ajouta une grimace de satyre fort différente de ses allures franches et de ses jeux honnêtes de physionomie, et se prépara à affronter la présence de son ancien hôte, maître Bonhomet.

D’ailleurs, Borromée passa le premier pour lui montrer le chemin, et, à la vue de ces deux casques, maître Bonhomet ne se donna la peine de reconnaître que celui qui marchait devant.

Si la façade de la Corne d’Abondance s’était lézardée, la face du digne cabaretier, de son côté aussi, avait subi les ravages du temps.

Outre les rides, qui correspondent sur le visage humain aux gerçures que le temps imprime au front des monuments, maître Bonhomet avait pris des façons d’homme puissant qui, pour tous autres que pour les gens d’épée, le rendaient de difficile approche, et qui racornissaient, pour ainsi dire, son visage.

Mais Bonhomet respectait toujours l’épée : c’était son faible ; il avait contracté cette habitude dans un quartier fort éloigné de toute surveillance municipale, sous l’influence des Bénédictins pacifiques.

En effet, s’il s’élevait, par malheur, une querelle en ce glorieux cabaret, avant qu’on eût été à la Contrescarpe chercher les Suisses ou les archers du guet, l’épée avait déjà joué, et joué de façon à mettre plusieurs pourpoints en perce ; ce méchef était arrivé sept ou huit fois à Bonhomet et lui avait coûté cent livres chaque fois ; il respectait donc l’épée, d’après ce système : crainte fait respect.

Quant aux autres clients de la Corne d’Abondance, écoliers, clercs, moines et marchands, Bonhomet s’en arrangeait tout seul ; il avait acquis une certaine célébrité en coiffant d’un large seau de plomb les récalcitrants ou déloyaux payeurs, et cette exécution mettait toujours de son côté certains piliers de cabaret qu’il s’était choisis parmi les plus vigoureux courtauds des boutiques voisines.