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les horribles airs de leurs musettes. Mordieu ! heureusement que j’ai eu l’idée d’envoyer à François ce secours tant demandé ; Anvers va me compenser Cahors : le Nord effacera les fautes du Midi.

— Amen ! dit Chicot en plongeant délicatement, pour achever son dessert, le bout de ses doigts dans les drageoirs et dans les compotiers du roi.

En ce moment la porte s’ouvrit et l’huissier annonça :

— Monsieur le comte du Bouchage !

— Ah ! s’écria Henri, je te le disais bien, Chicot, voilà ma nouvelle qui arrive. Entrez, comte, entrez.

L’huissier démasqua la porte, et l’on vit apparaître dans le cadre de cette porte, à la portière tombant à demi, le jeune homme qu’on venait d’annoncer, pareil à un portrait en pied d’Holbein ou du Titien.

Il s’avança lentement et fléchit le genou au milieu du tapis de la chambre.

— Toujours pâle, lui dit le roi, toujours lugubre. Voyons, ami, pour un moment, prends ton visage de Pâques, et ne me dis pas de bonnes choses avec un mauvais air ; parle vite, du Bouchage, parce que j’ai soif de ton récit. Tu viens de Flandre, mon fils ?

— Oui, sire.

— Et lestement, à ce que je vois.

— Sire, aussi vite qu’un homme peut marcher sur la terre.

— Sois le bienvenu. Anvers, où en est Anvers ?

— Anvers appartient au prince d’Orange, sire.

— Au prince d’Orange ! Qu’est-ce que c’est que cela ?

— À Guillaume, si vous l’aimez mieux.

— Ah çà, mais, et mon frère ne marchait-il pas sur Anvers ?

— Oui, sire ; mais maintenant ce n’est plus sur Anvers qu’il marche, c’est sur Château-Thierry.

— Il a quitté l’armée ?