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— Ou des enfants, Crillon. À propos d’enfants, Crillon, je crois que je vais en avoir un.

— Vous, sire ! s’écria Grillon, au comble de l’étonnement.

— Oui, la reine a rêvé cette nuit qu’elle était enceinte.

— Enfin, sire… dit Crillon.

— Eh bien ! quoi ?

— Cela me rend on ne peut plus joyeux de savoir que Votre Majesté avait faim de si grand matin. Adieu, sire !

— Va, mon bon Crillon, va,

— Harnibieu ! sire, fit Crillon, puisque Votre Majesté a si grand’faim, elle devrait bien m’inviter à déjeuner.

— Pourquoi cela, Crillon ?

— Parce qu’on dit que Votre Majesté vit de l’air du temps, ce qui la fait maigrir, attendu que l’air est mauvais, et que j’aurais été enchanté de pouvoir dire : Harnibieu ! ce sont pures calomnies, le roi mange comme tout le monde.

— Non, Crillon, non, au contraire, laisse croire ce qu’on croit ; cela me fait rougir de manger comme un simple mortel, devant mes sujets. Ainsi, Crillon, comprends bien ceci : un roi doit toujours rester poétique, et ne se jamais montrer que noblement. Ainsi, voyons, un exemple.

— J’écoute, sire.

— Rappelle-toi le roi Alexander.

— Quel roi Alexander ?

— Alexander Magnus. Ah ! tu ne sais pas le latin, c’est vrai. Eh bien ! Alexandre aimait à se baigner devant ses soldats, parce qu’Alexandre était beau, bien fait et suffisamment dodu, ce qui fait qu’on le comparait à l’Apollon, et même à l’Antinoüs.

— Oh ! oh ! sire, fit Grillon, vous auriez diablement tort de faire comme lui et de vous baigner devant les vôtres, car vous êtes bien maigre, mon pauvre sire.

— Brave Crillon, va, dit Henri en lui frappant sur l’épaule, tu es un bien excellent brutal, tu ne me flattes pas, toi ; tu n’es pas courtisan, mon vieil ami.