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Cette bonne nouvelle, répandue à l’instant même dans le Louvre, y faisait naître une joie bien légitime, et le fumet des viandes commençait à s’exhaler des offices, lorsque Crillon, colonel des gardes françaises, on se le rappelle, entra chez Sa Majesté pour prendre ses ordres.

— Ma foi, mon bon Crillon, lui dit le roi, veille comme tu voudras ce matin au salut de ma personne ; mais, pour Dieu ! ne me force point à faire le roi : je suis tout béat et tout hilare aujourd’hui ; il me semble que je ne pèse pas une once et que je vais m’envoler. J’ai faim, Crillon, comprends-tu cela, mon ami ?

— Je le comprends d’autant mieux, sire, répondit le colonel des gardes françaises, que j’ai grand’faim moi-même.

— Oh ! toi, Crillon, dit en riant le roi, toi tu as toujours faim.

— Pas toujours, sire ; oh ! non. Votre Majesté exagère, mais trois fois par jour ; et Votre Majesté ?

— Oh ! moi, une fois par an, et encore quand j’ai reçu de bonnes nouvelles.

— Harnibieu ! il paraît alors que vous avez reçu de bonnes nouvelles, sire ? Tant mieux, tant mieux ! car elles deviennent de plus en plus rares, à ce qu’il me semble.

— Pas la moindre, Crillon ; mais tu sais le proverbe ?

— Ah ! oui : « pas de nouvelles, bonnes nouvelles. » Je ne m’y fie pas aux proverbes, sire, et surtout à celui-là ; il ne vous est rien venu du côté de la Navarre ?

— Rien.

— Rien ?

— Sans doute, preuve qu’on y dort.

— Et du côté de la Flandre ?

— Rien.

— Rien ? preuve qu’on s’y bat. Et du côté de Paris ?

— Rien.

— Preuve qu’on y fait des complots.